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CHAPITRE V

De ce que fit Aurore de Guzman, lorsqu’elle fut à Salamanque.


Ortiz, ses compagnes et moi, après avoir entendu cette histoire, nous sortîmes de la salle, où nous laissâmes Aurore avec Elvire. Elles y passèrent le reste de la journée à s’entretenir. Elles ne s’ennuyaient point l’une avec l’autre : et le lendemain, quand nous partîmes, elles eurent autant de peine à se quitter, que deux amies qui se sont fait une douce habitude de vivre ensemble.

Enfin nous arrivâmes sans incident à Salamanque. Nous y louâmes d’abord une maison toute meublée ; et la dame Ortiz, ainsi que nous en étions convenus, prit le nom de dona Ximena de Guzman. Elle avait été trop longtemps duègne, pour n’être pas une bonne actrice. Elle sortit un matin avec Aurore, une femme de chambre et un valet, et se rendit à un hôtel garni où nous avions appris que Pacheco logeait ordinairement. Elle demanda s’il y avait quelque appartement à louer. On lui répondit qu’oui, et on lui en montra un assez propre, qu’elle arrêta. Elle donna même de l’argent d’avance à l’hôtesse, en lui disant que c’était pour un de ses neveux qui venait de Tolède étudier à Salamanque, et qui devait arriver ce jour-là.

La duègne et ma maîtresse, après s’être assurées de ce logement, revinrent sur leurs pas ; et la belle Aurore, sans perdre de temps, se travestit en cavalier. Elle couvrit ses cheveux noirs d’une fausse chevelure blonde, se teignit les sourcils de la même couleur, et s’ajusta de sorte qu’elle pouvait fort bien passer pour un jeune seigneur. Elle avait l’action libre et aisée ; et, à la