Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/337

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dans son ermitage. Vous ne m’incommoderez point, répliqua l’ermite. C’est vous seuls qu’il faut plaindre. Vous serez fort mal couchés, et je n’ai à vous offrir qu’un repas d’anachorète.

Après avoir ainsi parlé, le saint homme nous fit asseoir à une petite table, et nous présentant quelques ciboules, avec un morceau de pain et une cruche d’eau : Mes enfants, reprit-il, vous voyez mes repas ordinaires : mais je veux aujourd’hui faire un excès pour l’amour de vous. À ces mots, il alla prendre un peu de fromage et deux poignées de noisettes qu’il étala sur la table. Le jeune homme, qui n’avait pas grand appétit, ne fit guère d’honneur à ces mets. Je m’aperçois, lui dit l’ermite, que vous êtes accoutumés à de meilleures tables que la mienne, ou plutôt que la sensualité a corrompu votre goût naturel. J’ai été comme vous dans le monde. Les viandes les plus délicates, les ragoûts les plus exquis n’étaient pas trop bons pour moi ; mais depuis que je vis dans la solitude, j’ai rendu à mon goût toute sa pureté. Je n’aime présentement que les racines, les fruits, le lait, en un mot, que ce qui faisait toute la nourriture de nos premiers pères.

Tandis qu’il parlait de la sorte, le jeune homme tomba dans une profonde rêverie. L’ermite s’en aperçut. Mon fils, lui dit-il, vous avez l’esprit embarrassé. Ne puis-je savoir ce qui vous occupe ? Ouvrez-moi votre cœur. Ce n’est point par curiosité que je vous en presse, c’est la seule charité qui m’anime, Je suis dans un âge à donner des conseils, et vous êtes peut-être dans une situation à en avoir besoin. Oui, mon père, répondit le cavalier en soupirant, j’en ai besoin sans doute, et je veux suivre les vôtres, puisque vous avez la bonté de me les offrir. Je crois que je ne risque rien à me découvrir à un homme tel que vous. Non, mon fils, dit le vieillard, vous n’avez rien à craindre ; on peut me faire toute sorte de confidences. Alors le cavalier lui parla dans ces termes.