Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/338

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CHAPITRE X.

Histoire de don Alphonse et de la belle Séraphine.


Je ne vous déguiserai rien, mon père, non plus qu’à ce cavalier qui m’écoute : après la générosité qu’il a fait paraître, j’aurais tort de me défier de lui. Je vais vous apprendre mes malheurs. Je suis de Madrid, et voici mon origine. Un officier de la garde allemande[1] nommé le baron de Steinbach, rentrant un soir dans sa maison, aperçut au pied de l’escalier un paquet de linge blanc. Il le prit et l’emporta dans l’appartement de sa femme, où il se trouva que c’était un enfant nouveau-né, enveloppé dans une toilette fort propre, avec un billet par lequel on assurait qu’il appartenait à des personnes de qualité qui se feraient connaître un jour, et l’on ajoutait qu’il avait été baptisé et nommé Alphonse. Je suis cet enfant malheureux, et c’est tout ce que je sais. Victime de l’honneur ou de l’infidélité, j’ignore si ma mère ne m’a point exposé seulement pour cacher de honteuses amours, ou si, séduite par un amant parjure, elle s’est trouvée dans la cruelle nécessité de me désavouer.

Quoi qu’il en soit, le baron et sa femme furent touchés de mon sort ; et comme ils n’avaient pas d’enfants, ils se déterminèrent à m’élever sous le nom de don Alphonse. À mesure que j’avançais en âge, ils se sentaient attachés à moi. Mes manières flatteuses et complaisantes excitaient à tous moments leurs caresses. Enfin j’eus le bonheur de m’en faire aimer. Ils me donnèrent toute sorte de maîtres. Mon éducation devint leur unique étude ; et, loin d’attendre impatiemment

  1. Les rois d’Espagne, de la maison d’Autriche, avaient une garde composée d’Allemands, depuis que Charles-Quint, l’un d’eux, avait été empereur d’Allemagne.