Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/345

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immoler : commandez. Quelques périls, quelques malheurs qui soient attachés à votre vengeance, cet inconnu, que vous croyez d’accord avec vos ennemis, va s’y exposer pour vous.

Ce transport surprit la dame, et arrêta le cours de ses pleurs. Ah ! seigneur, me dit-elle, pardonnez ce soupçon à l’état cruel où je me vois. Ces sentiments généreux détrompent Séraphine ; ils m’ôtent jusqu’à la honte d’avoir un étranger pour témoin d’un affront fait à ma famille. Oui, noble inconnu, je reconnais mon erreur, et je ne rejette pas votre secours ; mais je ne demande point la mort de don Fernand. Eh bien, madame, repris-je, quels services pouvez-vous attendre de moi ? Seigneur, repartit Séraphine, voici de quoi je me plains. Don Fernand de Leyva est amoureux de ma sœur Julie, qu’il a vue par hasard à Tolède, où nous demeurons ordinairement. Il y a trois mois qu’il en fit la demande au comte de Polan mon père, qui lui refusa son aveu, à cause d’une vieille inimitié qui règne entre nos maisons. Ma sœur n’a pas encore quinze ans ; elle aura eu la faiblesse de suivre les mauvais conseils de mes femmes, que don Fernand a sans doute gagnées ; et ce cavalier, averti que nous étions toutes seules en cette maison de campagne, a pris ce temps pour enlever Julie. Je voudrais du moins savoir quelle retraite il lui a choisie, afin que mon père et mon frère, qui sont à Madrid depuis deux mois, puissent prendre des mesures là-dessus. Au nom de Dieu, ajouta-t-elle, donnez-vous la peine de parcourir les environs de Tolède ; faites une exacte recherche de cet enlèvement : que ma famille vous ait cette obligation-là.

La dame ne songeait pas que l’emploi dont elle me chargeait ne convenait guère à un homme qui ne pouvait trop tôt sortir de Castille ; mais comment y aurait-elle fait réflexion ? je n’y pensais pas moi-même.

Charmé du bonheur de me voir nécessaire à la plus aimable personne du monde, j’acceptai la commission