Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gneur, me répondit-il, j’allais vous faire la même prière. Je suis amoureux d’une fille que son frère fait soigneusement garder, et qui demeure à vingt pas d’ici. Je souhaiterais qu’il n’y eût personne dans la rue. Il y a, repris-je, moyen de nous satisfaire tous deux sans nous incommoder ; car, ajoutai-je en lui montrant sa propre maison, la dame que je sers loge là. Il faut même que nous nous secourions, si l’un ou l’autre vient à être attaqué. J’y consens, repartit-il ; je vais à mon rendez-vous, et nous nous épaulerons, s’il en est besoin. À ces mots, il me quitta, mais c’était pour mieux m’observer ; ce que l’obscurité de la nuit lui permettait de faire impunément.

Pour moi, je m’approchai de bonne foi du balcon de Violante. Elle parut bientôt, et nous commençâmes à nous entretenir. Je ne manquai pas de presser ma reine de m’accorder un entretien secret dans quelque endroit particulier. Elle résista un peu à mes instances, pour augmenter le prix de la grâce que je demandais ; puis me jetant un billet qu’elle tira de sa poche : Tenez, me dit-elle, vous trouverez dans cette lettre la promesse d’une chose dont vous m’importunez tant. Ensuite elle se retira, parce que l’heure à laquelle son mari revenait ordinairement approchait. Je serrai le billet, et je m’avançai vers le lieu où don Baltazar m’avait dit qu’il avait affaire. Mais cet époux, qui s’était fort bien aperçu que j’en voulais à sa femme, vint au-devant de moi, et me dit : Eh bien ! seigneur cavalier, êtes-vous content de votre bonne fortune ? J’ai sujet de l’être, lui répondis-je. Et vous, qu’avez-vous fait ? l’amour vous a-t-il favorisé ? Hélas ! non, repartit-il : le maudit frère de la beauté que j’aime est de retour d’une maison de campagne d’où nous avions cru qu’il ne reviendrait que demain. Ce contre-temps m’a sevré du plaisir dont je m’étais flatté.

Nous nous fîmes, don Baltaazr et moi des protestations d’amitié ; et nous nous donnâmes rendez-vous