Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/448

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dans le château. J’y entrai avec eux, car j’avais aussi mis pied à terre et attaché nos chevaux à un arbre. Le maître du château fut la première personne que nous rencontrâmes. C’était un homme de cinquante ans et de très bonne mine. Seigneur, lui dit le baron de Steinbach en lui présentant don Alphonse, vous voyez votre fils. À ces mots, don César de Leyva (ainsi se nommait le maître du château) jeta ses bras au cou de don Alphonse, et, pleurant de joie : Mon cher fils, lui dit-il, reconnaissez l’auteur de vos jours. Si je vous ai laissé ignorer si longtemps votre condition, croyez que je me suis fait en cela une cruelle violence. J’en ai mille fois soupiré de douleur, mais je n’ai pu faire autrement. J’avais épousé votre mère par inclination ; elle était d’une naissance fort inférieure à la mienne. Je vivais sous l’autorité d’un père dur, qui me réduisait à la nécessité de tenir secret un mariage contracté sans son aveu. Le baron de Steinbach seul était dans ma confidence, et c’est de concert avec moi qu’il vous a élevé. Enfin mon père n’est plus, et je puis déclarer que vous êtes mon unique héritier. Ce n’est pas tout, ajouta-t-il, je vous marie avec une jeune dame dont la noblesse égale la mienne. Seigneur, interrompit don Alphonse, ne me faites point payer trop cher le bonheur que vous m’annoncez. Ne puis-je savoir que j’ai l’honneur d’être votre fils, sans apprendre en même temps que vous voulez me rendre malheureux ? Ah ! seigneur, ne soyez pas plus cruel que votre père. S’il n’a point approuvé vos amours, du moins il ne vous a point forcé de prendre une femme. Mon fils, répliqua don César, je ne prétends pas non plus tyranniser vos désirs. Mais ayez la complaisance de voir la dame que je vous destine ; c’est tout ce que j’exige de votre obéissance. Quoique ce soit une personne charmante et un parti fort avantageux pour vous, je promets de ne pas vous contraindre à l’épouser. Elle est dans ce château. Suivez-moi ; vous allez convenir qu’il n’y a point d’objet plus aimable.