Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

retour, ne se mît sur nos traces avec un grand nombre de personnes, et ne nous joignît. Cependant, nous marchâmes pendant deux jours sans voir paraître à nos trousses aucun cavalier. Nous espérions que la troisième journée se passerait de même, et déjà nous nous entretenions fort tranquillement. Don Alvar me contait la triste aventure qui avait donné lieu au bruit de sa mort, et comment, après cinq années d’esclavage, il avait recouvré la liberté, quand nous rencontrâmes hier sur le chemin de Léon les voleurs avec qui vous étiez. C’est lui qu’ils ont tué avec tous ses gens, et c’est lui qui fait couler les pleurs que vous me voyez répandre en ce moment.


CHAPITRE XII

De quelle manière désagréable Gil Blas et la dame furent interrompus.


Dona Mencia fondit en larmes après avoir achevé ce récit. Bien loin d’entreprendre de la consoler par des discours dans le goût de Sénèque, je la laissai donner un libre cours à ses soupirs ; je pleurai même aussi, tant il est naturel de s’intéresser pour les malheureux, et particulièrement pour une belle personne affligée ! J’allais lui demander quel parti elle voulait prendre dans la conjoncture ou elle se trouvait, et peut-être allait-elle me consulter là-dessus, si notre conversation n’eût pas été interrompue : mais nous entendîmes dans l’hôtellerie un grand bruit, qui, malgré nous, attira noue attention. Ce bruit était causé par l’arrivée du corrégidor, suivi de deux alguazils[1] et de plusieurs archers. Ils vinrent dans la chambre où nous étions.

  1. Alguazil : c’est un huissier exécuteur des ordres du corrégidor, une manière d’exempt.