Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/73

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Un jeune cavalier qui les accompagnait, s’approcha de moi le premier, et se mit à regarder de près mon habit. Il n’eut pas besoin de l’examiner longtemps. Par saint Jacques, s’écria-t-il, voilà mon pourpoint ! c’est lui-même ; il n’est pas plus difficile à reconnaître que mon cheval. Vous pouvez arrêter ce galant sur ma parole ; je ne crains pas de m’exposer à lui faire réparation d’honneur : je suis sûr que c’est un de ces voleurs qui ont une retraite inconnue en ce pays-ci.

À ce discours, qui m’apprenait que ce cavalier était le gentilhomme volé dont j’avais par malheur toute la dépouille, je demeurai surpris, confus, déconcerté. Le corrégidor, que sa charge obligeait plutôt à tirer une mauvaise conséquence de mon embarras qu’à l’expliquer favorablement, jugea que l’accusation n’était pas mal fondée ; et présumant que la dame pouvait être complice, il nous fit emprisonner tous deux séparément. Ce juge n’était pas de ceux qui ont le regard terrible ; il avait l’air doux et riant. Dieu sait s’il en valait mieux pour cela ! Sitôt que je fus en prison, il y vint avec ses deux furets, c’est-à-dire ses alguazils ; ils entrèrent d’un air joyeux ; il semblait qu’ils eussent un pressentiment qu’ils allaient faire une bonne affaire. Ils n’oublièrent pas leur bonne coutume : ils commencèrent par me fouiller. Quelle aubaine pour ces messieurs ! Ils n’avaient jamais peut-être fait un si bon coup. À chaque poignée de pistoles qu’ils tiraient, je voyais leurs yeux étinceler de joie. Le corrégidor surtout paraissait hors de lui-même. Mon enfant, me disait-il d’un ton de voix plein de douceur, nous faisons notre charge : mais ne crains rien ; si tu n’es pas coupable, on ne te fera point de mal. Cependant ils vidèrent tout doucement mes poches, et me prirent même ce que les voleurs avaient respecté, je veux dire les quarante ducats de mon oncle. Ils n’en demeurèrent pas là : leurs mains avides et infatigables me parcoururent depuis la tête jusqu’aux pieds ; ils me tournèrent de tous côtés, et me dépouillèrent pour voir