Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/75

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der. Le seizième jour, le corrégidor parut et me dit : Enfin, mon ami, tes peines sont finies ; tu peux t’abandonner à la joie ; je viens t’annoncer une agréable nouvelle. J’ai fait conduire à Burgos la dame qui était avec toi ; je l’ai interrogée avant son départ, et ses réponses vont à ta décharge. Tu seras élargi dès aujourd’hui, pourvu que le muletier avec qui tu es venu de Pegnaflor à Cacebelos, comme tu me l’as dit, confirme ta déposition. Il est dans Astorga. Je l’ai envoyé chercher ; je l’attends ; s’il convient de l’aventure de la question, je te mettrai sur-le-champ en liberté.

Ces paroles me réjouirent. Dès ce moment, je me crus hors d’affaire. Je remerciai le juge de la bonne et briève justice qu’il voulait me rendre ; et je n’avais pas encore achevé mon compliment, que le muletier, conduit par deux archers, arriva. Je le reconnus aussitôt : mais le bourreau de muletier, qui sans doute avait vendu ma valise avec tout ce qui était dedans, craignant d’être obligé de restituer l’argent qu’il en avait touché, s’il avouait qu’il me reconnaissait, dit effrontément qu’il ne savait qui j’étais et qu’il ne m’avait jamais vu. Ah ! traître, m’écriai-je, confesse plutôt que tu as vendu mes hardes, et rends témoignage à la vérité. Regarde-moi bien, je suis un de ces jeunes gens que tu menaças de la question dans le bourg de Cacebelos, et à qui tu fis si grand’peur. Le muletier répondit d’un air froid que je lui parlais d’une chose dont il n’avait aucune connaissance ; et comme il soutint jusqu’au bout que je lui étais inconnu, mon élargissement fut remis à une autre fois. Mon enfant, me dit le corrégidor, tu vois bien que le muletier ne convient pas de ce que tu as déposé ; ainsi je ne puis te rendre la liberté, quelque envie que j’en aie. Il fallut m’armer d’une nouvelle patience, me résoudre à jeûner encore au pain et à l’eau, et à voir le silencieux concierge. Quand je songeais que je ne pouvais me tirer des griffes de la justice, bien que je n’eusse pas commis le moindre crime, cette pensée me