Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/8

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Justice enfin était rendue à Le Sage. On ne se contentait pas de dire de lui avec l’abbé de Voisenon et avec le public : « Il fit Gil Blas, roman qui, par la légèreté et la pureté du style et la finesse de la morale, sera toujours un monument précieux dans la littérature française » ; on expliquait pourquoi Gil Blas était un monument et un chef-d’œuvre. Tous les goûts sans doute n’étaient pas d’accord ; ils ne le sont jamais. Les enthousiastes de la nature comme Diderot s’échauffaient pour Clarisse ; les exaltés et les passionnés tenaient pour les romans à la Jean-Jacques ou à la Staël. M. Joubert, un platonicien délicat, et subtil, avait écrit pour lui seul ce mot déjà cité : « On peut dire des romans de Le Sage qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café par un joueur de dominos, en sortant de la comédie ». Ce n’était là qu’une saillie et une boutade, l’expression d’une extrême délicatesse individuelle poussée jusqu’au raffinement. La majorité des bons esprits n’était pas si dégoûtée. L’Académie française, qui devait des réparations à Le Sage pour n’avoir pas eu l’honneur de le posséder, proposa son Éloge et partagea le prix, en 1822, entre deux discours diversement remarquables, l’un de M. Patin, l’autre de M. Malitourne. Nous extrayons du premier et du plus solide, selon nous, de ces discours, de celui de M. Patin, la page suivante dans laquelle Gil Blas est parfaitement caractérisée ; la critique a fait un pas depuis La Harpe, et l’on est venu au fin détail en fait d’analyse et d’anatomie littéraire :


« Au Diable boiteux, succéda bientôt Gil Blas, qui lui est fort supérieur. Il y a, entre ces deux ouvrages, presque toute la distance qui sépare les peintures des moralistes et celles des romanciers. Le sujet est le même