Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/83

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tira de dessous sa robe une bourse qu’elle me mit entre les mains, en me disant : Voilà cent ducats que je vous donne seulement pour vous faire habiller. Revenez me voir après cela ; je n’ai pas dessein de borner ma reconnaissance à si peu de chose. Je rendis mille grâces à la dame, et je lui jurai que je ne sortirais point de Burgos sans prendre congé d’elle. Ensuite de ce serment, que je n’avais pas envie de violer, j’allai chercher une hôtellerie. J’entrai dans la première que je rencontrai. Je demandai une chambre ; et, pour prévenir la mauvaise opinion que ma souquenille pouvait encore donner de moi, je dis à l’hôte que, tel qu’il me voyait, j’étais en état de bien payer mon gîte. À ces mots, l’hôte, appelé Majuelo, grand railleur de son naturel, me parcourant des yeux depuis le haut jusqu’en bas, me répondit d’un air froid et malin qu’il n’avait pas besoin de cette assurance pour être persuadé que je ferais beaucoup de dépense chez lui ; qu’au travers de mon habillement il démêlait en moi quelque chose de noble, et qu’enfin il ne doutait pas que je ne fusse un gentilhomme fort aisé. Je vis bien que le traître me raillait ; et, pour mettre fin tout à coup à ses plaisanteries, je lui montrai ma bourse : Je comptai même devant lui mes ducats sur une table, et je m’aperçus que mes espèces le disposaient à juger de moi plus favorablement. Je le priai de me faire venir un tailleur. Il vaut mieux, me dit-il, envoyer chercher un fripier ; il vous apportera toutes sortes d’habits, et vous serez habillé sur-le-champ. J’approuvai ce conseil, et résolus de le suivre, mais comme le jour était prêt à se fermer, je remis l’emplette au lendemain, et je ne songeai qu’à bien souper, pour me dédommager des mauvais repas que j’avais faits depuis ma sortie du souterrain.