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CHAPITRE XV

De quelle façon s’habille Gil Blas, du nouveau présent qu’il reçut de la dame, et dans quel équipage il partit de Burgos.


On me servit une copieuse fricassée de pieds de mouton, que je mangeai presque tout entière. Je bus à proportion ; puis je me couchai. J’avais un assez bon lit, et j’espérais qu’un profond sommeil ne tarderait guère à s’emparer de mes sens. Je ne puis toutefois fermer l’œil ; je ne fis que rêver à l’habit que je devais prendre. Que faut-il que je fasse ? disais-je : suivrai-je mon premier dessein ? Achèterai-je une soutannelle pour aller à Salamanque chercher une place de précepteur ? Pourquoi m’habiller en licencié ? Ai-je envie de me consacrer à l’état ecclésiastique ? Y suis-je entraîné par mon penchant ? Non, je me sens même des inclinations très opposées à ce parti-là. Je veux porter l’épée, et tâcher de faire fortune dans le monde : ce fut à quoi je m’arrêtai.

Je me résolus à prendre un habit de cavalier, persuadé que sous cette forme je ne pouvais manquer de parvenir à quelque poste honnête et lucratif. Dans cette flatteuse opinion, j’attendis le jour avec la dernière impatience, et ses premiers rayons ne frappèrent pas plutôt mes yeux que je me levai. Je fis tant de bruit dans l’hôtellerie que je réveillai tous ceux qui dormaient. J’appelai les valets qui étaient encore au lit, et qui ne répondirent à ma voix qu’en me chargeant de malédictions. Ils furent pourtant obligés de se lever, et je ne leur donnai point de repos qu’ils ne m’eussent fait venir un fripier. J’en vis bientôt paraître un qu’on m’amena. Il était suivi de deux garçons qui portaient chacun un gros paquet de toile verte. Il me