Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lendemain matin, lorsque je me réveillai, je m’aperçus qu’il était déjà tard. Je fus assez surpris de ne pas voir paraître mon valet, après l’ordre qu’il avait reçu de moi. Ambroise, dis-je en moi-même, mon fidèle Ambroise est à l’église, ou bien il est aujourd’hui fort paresseux. Mais je perdis bientôt cette opinion de lui pour en prendre une plus mauvaise ; car m’étant levé, et ne voyant plus ma valise, je le soupçonnai de l’avoir volée pendant la nuit. Pour éclaircir mes soupçons, j’ouvris la porte de ma chambre, et j’appelai l’hypocrite à plusieurs reprises. Il vint à ma voix un vieillard qui me dit : Que souhaitez-vous, seigneur ! tous vos gens sont sortis de ma maison avant le jour. Comment, de votre maison ? m’écriai-je : est-ce que je ne suis pas ici chez don Raphaël ? Je ne sais ce que c’est que ce cavalier, me répondit-il, vous êtes dans un hôtel garni, et j’en suis l’hôte. Hier au soir, une heure avant votre arrivée, la dame qui a soupé avec vous vint ici, arrêta cet appartement pour un grand seigneur, disait-elle, qui voyage incognito. Elle m’a même payé d’avance.

Je fus alors au fait. Je sus ce que je devais penser de Camille et de don Raphaël ; et je compris que mon valet, ayant une entière connaissance de mes affaires, m’avait vendu à ces fourbes. Au lieu de n’imputer qu’à moi ce triste incident, et de songer qu’il ne me serait point arrivé si je n’eusse pas eu l’indiscrétion de m’ouvrir à Majuelo sans nécessité, je m’en pris à la fortune innocente, et maudis cent fois mon étoile. Le maître de l’hôtel garni, à qui je contai l’aventure, qu’il savait peut-être aussi bien que moi, se montra sensible à ma douleur. Il me plaignit, et me témoigna qu’il était très mortifié que cette scène se fût passée chez lui ; mais je crois, malgré ses démonstrations, qu’il n’avait pas moins de part à cette fourberie que mon hôte de Burgos, à qui j’ai toujours attribué l’honneur de l’invention.