Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/106

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ne conviennent ni à vous ni à moi. À ce discours sensé, le cavalier, qui ne reconnaissait plus l’autorité de la raison, répondit à la dame avec toute l’impétuosité d’un homme possédé des mouvements qui l’agitaient : Cruelle Inésile, pourquoi avez-vous recours à ces frivoles adresses ? Pensez-vous qu’elles puissent vous changer à mes yeux ? Ne vous flattez pas d’une si fausse espérance. Que vous soyez telle que je vous vois, ou qu’un charme trompe ma vue, je ne cesserai point de vous aimer. Hé bien ! reprit-elle, puisque vous êtes assez opiniâtre pour persister dans la résolution de me fatiguer de vos soins, ma maison désormais ne sera plus ouverte pour vous. Je vous l’interdis, et vous défends de paraître jamais devant moi.

Vous croyez peut-être, après cela, que don Valerio, déconcerté de ce qu’il venait d’entendre, fit une honnête retraite. Au contraire, il n’en devint que plus importun. L’amour fait dans les amants le même effet que le vin dans les ivrognes. Le cavalier pria, gémit ; et, passant tout à coup des prières aux emportements, il voulut avoir par la force ce qu’il ne pouvait obtenir autrement. Mais la dame, le repoussant avec courage, lui dit d’un air irrité : Arrêtez, téméraire, je vais mettre un frein à votre folle ardeur. Apprenez que vous êtes mon fils.

Don Valerio fut étourdi de ces paroles ; il suspendit sa violence. Mais, s’imaginant qu’Inésile ne parlait ainsi que pour se soustraire à ses sollicitations, il lui répondit : Vous inventez cette fable pour vous dérober à mes désirs. Non, non, interrompit-elle, je vous révèle un mystère que je vous aurais toujours caché, si vous ne m’eussiez pas réduite à la nécessité de vous le découvrir. Il y a vingt-six ans que j’aimais don Pèdre de Luna, votre père, qui était alors gouverneur de Ségovie ; vous devîntes le fruit de nos amours ; il vous reconnut, vous fit élever avec soin ; et, outre qu’il n’avait point d’autre enfant, vos bonnes qualités le déterminèrent à