Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/107

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vous laisser du bien. De mon côté, je ne vous ai pas abandonné ; sitôt que je vous ai vu entrer dans le monde, je vous ai attiré chez moi, pour vous inspirer ces manières polies qui sont si nécessaires à un galant homme, et que les femmes seules peuvent donner aux jeunes cavaliers. J’ai fait plus : j’ai employé tout mon crédit pour vous mettre chez le premier ministre. Enfin, je me suis intéressée pour vous comme je le devais pour un fils. Après cet aveu, prenez votre parti. Si vous pouvez épurer vos sentiments, et ne regarder en moi qu’une mère, je ne vous bannis point de ma présence, et j’aurai pour vous toute la tendresse que j’ai eue jusqu’ici. Mais si vous n’êtes pas capable de cet effort que la nature et la raison exigent de vous, fuyez dès ce moment, et me délivrez de l’horreur de vous voir.

Inésile parla de cette sorte. Pendant ce temps-là don Valério gardait un morne silence : on eût dit qu’il rappelait sa vertu, et qu’il allait se vaincre lui-même. Mais c’est à quoi il ne pensait nullement. Il méditait un autre dessein, et préparait à sa mère un spectacle bien différent. Ne pouvant se consoler de l’obstacle qui s’opposait à son bonheur, il céda lâchement à son désespoir. Il tira son épée et se l’enfonça dans le sein. Il se punit comme un autre Œdipe, avec cette différence que le Thébain s’aveugla de regret d’avoir consommé le crime, et qu’au contraire le Castillan se perça de douleur de ne pouvoir le commettre.

Le malheureux don Valerio ne mourut pas sur-le-champ du coup qu’il s’était porté. Il eut le temps de se reconnaître et de demander pardon au ciel de s’être lui-même ôté la vie. Comme il laissa par sa mort un poste de secrétaire vacant chez le duc de Lerme, ce ministre, qui n’avait pas oublié ma relation d’incendie, non plus que l’éloge qu’on lui avait fait de moi, me choisit pour remplacer ce jeune homme.