Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/113

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congé de lui, mais chez le plus fameux traiteur du quartier de la cour. Une auberge ordinaire ne me convenait plus. Songe que tu es présentement au roi : ces paroles que le duc m’avait dites étaient des semences d’ambition qui germaient d’instant en instant dans mon esprit.


CHAPITRE III

Il apprend que son poste n’est pas sans désagrément. De l’inquiétude que lui cause cette nouvelle, et de la conduite qu’elle l’oblige à tenir.


J’eus grand soin, en entrant, d’apprendre au traiteur que j’étais un secrétaire du premier ministre ; et, en cette qualité, je ne savais que lui ordonner de m’apprêter mon dîner. J’avais peur de demander quelque chose qui sentît l’épargne, et je lui dis de me donner ce qu’il lui plairait. Il me régala bien, et l’on me servit avec des marques de considération qui me faisaient encore plus de plaisir que la bonne chère. Quand il fut question de payer, je jetai sur la table une pistole, dont j’abandonnai aux valets un quart pour le moins qu’il y avait de reste à me rendre. Après quoi je sortis de chez le traiteur, en faisant des écarts de poitrine comme un jeune homme fort content de sa personne.

Il y avait à vingt pas de là un grand hôtel garni, où logeaient d’ordinaire des seigneurs étrangers. J’y louai un appartement de cinq à six pièces bien meublées. Il semblait que j’eusse déjà deux ou trois mille ducats de rente. Je donnai même le premier mois d’avance. Après cela je retournai au travail, et je m’occupai toute l’après-dînée à continuer ce que j’avais commencé le matin. Il y avait dans un cabinet voisin du mien, deux autres secrétaires, mais ceux-ci ne faisaient que mettre au net ce que le duc leur portait lui-même à copier.