Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/140

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après quoi je lui dis d’un air important : C’est assez, seigneur don Roger : le cas me paraît graciable. Je me charge de détailler votre affaire à Son Excellence, dont j’ose vous promettre la protection. Le Grenadin, sur cela, se répandit en remercîments qui ne m’auraient fait qu’entrer par une oreille et sortir par l’autre, s’il ne m’eût assuré que sa reconnaissance suivrait d’après le service que je lui rendrais. Mais d’abord qu’il eut touché cette corde-là, je me mis en mouvement. Dès le jour même je contai cette histoire au duc, qui, m’ayant permis de lui présenter le cavalier, lui dit : Don Roger, je suis instruit de l’affaire d’honneur qui vous a fait venir à la cour ; Santillane m’en a dit toutes les circonstances. Ayez l’esprit tranquille : vous n’avez rien fait qui ne soit excusable ; et c’est particulièrement aux gentilshommes qui vengent leur honneur offensé que Sa Majesté aime à faire grâce. Il faut pour la forme vous mettre en prison ; mais soyez assuré que vous n’y demeurerez pas longtemps. Vous avez dans Santillane un bon ami qui se chargera du reste ; il hâtera votre élargissement.

Don Roger fit une profonde révérence au ministre, sur la parole duquel il alla se constituer prisonnier. Ses lettres de grâce furent bientôt expédiées par mes soins. En moins de dix jours j’envoyai ce nouveau Télémaque rejoindre son Ulysse et sa Pénélope ; au lieu que, s’il n’eût pas eu de protecteur et d’argent, il n’en aurait peut-être pas été quitte pour une année de prison. Je ne tirai pourtant de ce service rendu que cent pistoles. Ce n’était point là un grand coup de filet ; mais je n’étais pas encore un Calderone pour mépriser les petits.