Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/139

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Depuis que vous m’avez fait connaître mon injustice, j’ai des remords qui me déchirent le cœur.

J’avais trop d’envie de rassembler ces deux personnes qui m’étaient si chères, pour en retarder le doux moment. Je quittai l’armateur ; et, de l’argent que je reçus pour ma part de la prise que nous avions faite, j’achetai à Adra deux mules, mon père ne voulant plus s’exposer aux périls de la mer. Il eut tout le loisir sur la route de me raconter ses aventures, que j’écoutai avec cette avide attention que prêta le prince d’Ithaque au récit de celles du roi son père. Enfin, après plusieurs journées, nous nous rendîmes au bas de la montagne la plus voisine d’Antequerre, et nous fîmes halte en cet endroit. Comme nous voulions arriver secrètement au logis, nous n’entrâmes dans la ville qu’au milieu de la nuit.

Je vous laisse à imaginer la surprise où fut ma mère de revoir son mari qu’elle croyait avoir perdu pour jamais ; et la manière pour ainsi dire miraculeuse dont il lui était rendu devenait encore pour elle un autre sujet d’étonnement. Il lui demanda pardon de sa barbarie avec des marques si vives de repentir, qu’elle ne put se défendre d’en être touchée. Au lieu de le regarder comme un assassin, elle ne vit plus en lui qu’un homme à qui le ciel l’avait soumise, tant le nom d’époux est sacré pour une femme qui a de la vertu ! Estéphanie avait été si en peine de moi, qu’elle fut charmée de mon retour. Elle n’en ressentit pas toutefois une joie pure. Une sœur de Hordalès procédait criminellement contre le meurtrier de son frère ; elle me faisait chercher partout ; de sorte que ma mère, ne me voyant pas en sûreté dans notre maison, n’était pas sans inquiétude. Cela m’obligea dès cette nuit-là même de partir pour la cour, où je viens, seigneur, solliciter ma grâce, que j’espère obtenir, puisque vous voulez bien parler en ma faveur au premier ministre, et m’appuyer de tout votre crédit.

Le vaillant fils de don Anastasio finit là son récit ;