Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/156

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Je ne manquai pas le jour suivant d’aller rendre au duc de Lerme un compte exact de tout ce qui s’était passé. Je ne lui cachai qu’une chose. Je ne lui parlai point de Scipion ; je me donnai pour auteur de la découverte de Catalina : car on se fait honneur de tout auprès des grands.

Je m’attirai par là des compliments à mi-sucre. Monsieur Gil Blas, me dit le ministre d’un air railleur, je suis ravi qu’avec tous vos autres talents vous ayez encore celui de déterrer les beautés obligeantes ! quand j’en voudrai quelques-unes, vous trouverez bon que je m’adresse à vous. Monseigneur, lui répondis-je sur le même ton, je vous remercie de la préférence : mais vous me permettrez de vous dire que je me ferais un scrupule de procurer ces sortes de plaisirs à Votre Excellence. Il y a si longtemps que le seigneur don Rodrigue est en possession de cet emploi-là, qu’il y aurait injustice à l’en dépouiller. Le duc sourit de ma réponse ; puis, changeant de discours, il me demanda si son neveu n’avait pas besoin d’argent pour cette équipée. Pardonnez-moi, lui dis-je, il vous prie de lui envoyer mille pistoles. Eh bien ! reprit le ministre, tu n’as qu’à les lui porter ; dis-lui qu’il ne les ménage point, et qu’il applaudisse à toutes les dépenses que le prince souhaitera de faire.


CHAPITRE XI

De la visite secrète et des présents que le prince d’Espagne fit à Catalina.


J’allai porter à l’heure même cinq cents doubles pistoles au comte de Lemos. Vous ne pouviez venir plus à propos, me dit ce seigneur. J’ai parlé au prince ; il a mordu à la grappe : il brûle d’impatience de voir Catalina. Dès la nuit prochaine il veut se dérober secrètement de son palais pour se rendre chez elle, c’est une