Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose résolue ; nos mesures sont déjà prises pour cela. Avertissez-en les dames, et leur donnez l’argent que vous m’apportez ; il est bon de leur faire connaître que ce n’est point un amant ordinaire qu’elles ont à recevoir ; d’ailleurs les bienfaits des princes doivent devancer leurs galanteries. Comme vous l’accompagnerez avec moi, poursuivit-il, ayez soin de vous trouver ce soir à son coucher ; il faudra de plus que votre carrosse (car je juge à propos de nous en servir) nous attende à minuit aux environs du palais.

Je me rendis aussitôt chez les dames. Je ne vis point Catalina ; on me dit qu’elle reposait. Je ne parlai qu’à la señora Mencia. Madame, lui dis-je, excusez-moi de grâce si je parais dans votre maison pendant le jour ; mais je ne puis faire autrement ; il faut bien que je vous avertisse que le prince d’Espagne viendra chez vous cette nuit ; et voici, ajoutai-je en lui mettant entre les mains un sac où étaient les espèces, voici une offrande qu’il envoie au temple de Cythère pour s’en rendre les divinités favorables. Je ne vous ai pas, comme vous voyez, engagées dans une mauvaise affaire. Je vous en suis redevable, répondit-elle : mais apprenez-moi, seigneur de Santillane, si le prince aime la musique. Il l’aime, repris-je, à la folie. Rien ne le divertit tant qu’une belle voix accompagnée d’un luth touché délicatement. Tant mieux ! s’écria-t-elle toute transportée de joie ; vous me charmez en me disant cela, car ma nièce a un gosier de rossignol et joue du luth à ravir : elle danse même parfaitement. Vive Dieu ! m’écriai-je à mon tour, voilà bien des perfections, ma tante : il n’en faut pas tant à une fille pour faire fortune ; un seul de ces talents lui suffit pour cela.

Ayant ainsi préparé les voies, j’attendis l’heure du coucher du prince. Lorsqu’elle fut arrivée, je donnai mes ordres à mon cocher, et rejoignis le comte de Lemos qui me dit que le prince, pour se défaire plus tôt de tout le monde, allait feindre une légère indisposition, et