Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vêque. Je les laissai ensemble et me retirai parmi les officiers, qui me prodiguèrent alors les honnêtetés. J’allai manger avec eux quand il en fut temps, et, s’ils m’observèrent pendant le repas, je les examinai bien aussi. Quelle sagesse il y avait dans l’extérieur des ecclésiastiques ! Ils me parurent de saints personnages, tant le lieu où j’étais tenait mon esprit en respect ! Il ne me vint pas seulement en pensée que c’était de la fausse monnaie, comme si l’on n’en pouvait pas voir chez les princes de l’Église !

J’étais assis auprès d’un vieux valet de chambre, nommé Melchior de la Ronda. Il prenait soin de me servir de bons morceaux. L’attention qu’il avait pour moi m’en donna pour lui, et ma politesse le charma. Seigneur cavalier, me dit-il tout bas après le dîner, je voudrais bien avoir une conversation particulière avec vous. En même temps il me mena dans un endroit du palais où personne ne pouvait nous entendre, et là il me tint ce discours : Mon fils, dès le premier instant que je vous ai vu, je me suis senti pour vous de l’inclination. Je veux vous en donner une marque certaine en vous faisant une confidence qui vous sera d’une grande utilité. Vous êtes ici dans une maison où les vrais et les faux dévots vivent pêle-mêle. Il vous faudrait un temps infini pour connaître le terrain. Je vais vous épargner une si longue et si désagréable étude, en vous découvrant les caractères des uns et des autres. Après cela vous pourrez facilement vous conduire.

Je commencerai, poursuivit-il, par monseigneur. C’est un prélat fort pieux qui s’occupe sans cesse à édifier le peuple, à le porter à la vertu par des sermons pleins d’une morale excellente, qu’il compose lui-même. Il a depuis vingt années quitté la cour pour s’abandonner entièrement au zèle qu’il a pour son troupeau. C’est un savant personnage, un grand orateur, il met tout son plaisir à prêcher, et ses auditeurs sont ravis de l’entendre. Peut-être y a-t-il un peu de vanité dans