Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rire, tu en es encore là ? Voilà un mariage bien avancé ! Beaucoup plus que vous le pensez, répliqua-t-il ; je ne veux qu’une heure de conversation avec l’orfèvre, et je vous réponds de son consentement. Mais, avant que nous allions plus loin, composons, s’il vous plaît. Supposé que je vous fasse donner cent mille ducats, combien m’en reviendra-t-il ? Vingt mille, lui repartis-je. Le ciel en soit loué ! dit-il. Je bornais votre reconnaissance à dix mille ; vous êtes une fois plus généreux que moi. Allons, j’entrerai dès demain dans cette négociation, et vous pouvez compter qu’elle réussira, ou je ne suis qu’une bête.

Effectivement, deux jours après il me dit : J’ai parlé au seigneur Gabriel de Salero (ainsi se nommait mon orfèvre). Je lui ai tant vanté votre crédit et votre mérite, qu’il a prêté l’oreille à la proposition que je lui ai faite de vous accepter pour gendre. Vous aurez sa fille avec cent mille ducats, pourvu que vous lui fassiez voir clairement que vous possédez les bonnes grâces du ministre. S’il ne tient qu’à cela, dis-je alors à Scipion, je serai bientôt marié. Mais à propos de la fille, l’as-tu vue ? est-elle belle ? Pas si belle que la dot. Entre nous, cette riche héritière n’est pas une fort jolie personne. Par bonheur vous ne vous en souciez guère. Ma foi non, lui répliquai-je, mon enfant. Nous autres gens de cour, nous n’épousons que pour épouser seulement. Nous ne cherchons la beauté que dans les femmes de nos amis ; et, si par hasard elle se trouve dans les nôtres, nous y faisons si peu d’attention, que c’est fort bien fait quand elles nous en punissent.

Ce n’est pas tout, reprit Scipion : le seigneur Gabriel vous donne à souper ce soir. Nous sommes convenus que vous ne parlerez pas du mariage projeté. Il doit inviter plusieurs marchands de ses amis à ce repas, où vous vous trouverez comme un simple convive, et demain il viendra souper chez vous de la même manière. Vous voyez par là que c’est un homme qui veut vous