Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/172

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étudier avant que de passer outre. Il sera bon que vous vous observiez un peu devant lui. Oh ! parbleu, interrompis-je d’un air de confiance, qu’il m’examine tant qu’il lui plaira, je ne puis que gagner à cet examen.

Cela s’exécuta de point en point. Je me fis conduire chez l’orfèvre, qui me reçut aussi familièrement que si nous nous fussions déjà vus plusieurs fois. C’était un bon bourgeois qui était, comme nous disons, poli hasta porfiar[1]. Il me présenta la señora Eugenia sa femme, et la jeune Gabriela sa fille. Je leur fis force compliments, sans contrevenir au traité. Je leur dis des riens en fort beaux termes, des phrases de courtisan.

Gabriela, quoi que m’en eût dit mon secrétaire, ne me parut pas désagréable, soit à cause qu’elle était extrêmement parée, soit que je ne la regardasse qu’au travers de la dot. La bonne maison que celle du seigneur Gabriel ! Il y a, je crois, moins d’argent dans les mines du Pérou qu’il n’y en avait dans cette maison-là. Ce métal s’y offrait à la vue de toutes parts, sous mille formes différentes. Chaque chambre, et particulièrement celle où nous nous étions mis à table, était un trésor. Quel spectacle pour les yeux d’un gendre ! Le beau-père, pour faire plus honneur à son repas, avait assemblé chez lui cinq ou six marchands, tous personnages graves et ennuyeux. Ils ne parlèrent que de commerce ; et l’on peut dire que leur conversation fut plutôt une conférence de négociants qu’un entretien d’amis qui soupent ensemble.

Je régalai l’orfèvre à mon tour le lendemain au soir. Ne pouvant l’éblouir par mon argenterie, j’eus recours à une autre illusion. J’invitai à souper ceux de mes amis qui faisaient la plus belle figure à la cour, et que je connaissais pour des ambitieux qui ne mettaient point de bornes à leurs désirs. Ces gens-ci ne s’entretinrent que des grandeurs, que des postes brillants et lucratifs aux-

  1. Jusqu’à être fatigant.