Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/177

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secrétaire de ministre doit recevoir honnêtement toutes sortes de personnes. Sois, si tu veux, assez vain pour te regarder comme le substitut de ton maître ; mais n’oublie pas que tu n’es que son valet.

Le superbe don Rodrigue fut fort mortifié de cet incident. Il n’en devint toutefois pas plus raisonnable. Pour moi, je marquai cette chasse-là[1]. Je résolus de prendre garde à qui je parlerais dans mes audiences, et de n’être insolent qu’avec des muets. Comme les patentes de don Alphonse se trouvaient expédiées, je les emportai, et les envoyai par un courrier extraordinaire à ce jeune seigneur, avec une lettre du duc de Lerme, par laquelle Son Excellence lui donnait avis que le roi venait de le nommer au gouvernement de Valence. Je ne lui mandai point la part que j’avais à cette nomination, je ne voulus pas même lui écrire, me faisant un plaisir de la lui apprendre de bouche, et de lui causer une agréable surprise, lorsqu’il viendrait à la cour prêter serment pour son emploi.


CHAPITRE III

Des préparatifs qui se firent pour le mariage de Gil Blas, et du grand événement qui les rendit inutiles.


Revenons à ma belle Gabrielle. Je devais donc l’épouser dans huit jours. Nous nous préparâmes de part et d’autre à cette cérémonie. Salero fit faire de riches habits pour la mariée, et j’arrêtai pour elle une femme de chambre, un laquais et un vieil écuyer, tout cela choisi par Scipion, qui attendait avec encore plus d’impatience que moi le jour qu’on me devait compter la dot.

  1. Métaphore empruntée du jeu de paume ; on y marque la chasse, c’est-à-dire l’endroit du jeu où est tombée la balle et au delà duquel l’autre joueur doit la pousser, s’il veut gagner le coup.