Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/176

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sujet qui m’amenait, et là-dessus il m’assura, dans les termes les plus obligeants, que le lendemain à pareille heure ce que je demandais serait expédié. Il ne borna point là sa politesse, il me conduisit jusqu’à la porte de son antichambre, où il ne conduisait jamais que de grands seigneurs, et là il m’embrassa de nouveau.

Que signifient toutes ces honnêtetés ? disais-je en m’en allant ; que me présagent-elles ? Calderone méditerait-il ma perte ? ou bien aurait-il envie de gagner mon amitié ? ou, pressentant que sa faveur est sur son déclin, me ménagerait-il dans la vue de me prier d’intercéder pour lui auprès de notre patron ? Je ne savais à laquelle de ces conjectures je devais m’arrêter. Le jour suivant, lorsque je retournai chez lui, il me traita de la même façon ; il m’accabla de caresses et de civilités. Il est vrai qu’il les rabattit sur la réception qu’il fit aux autres personnes qui se présentaient pour lui parler. Il brusqua les uns, battit froid aux autres ; il mécontenta presque tout le monde. Mais ils furent tous assez vengés par une aventure qui arriva, et que je ne dois point passer sous silence. Ce sera un avis au lecteur pour les commis et les secrétaires qui la liront.

Un homme vêtu fort simplement, et qui ne paraissait pas ce qu’il était, s’approcha de Calderone, et lui parla d’un certain mémoire qu’il disait avoir présenté au duc de Lerme. Don Rodrigue ne regarda pas seulement le cavalier, et lui dit d’un ton brusque : Comment vous appelle-t-on, mon ami ? L’on m’appelait Francillo dans mon enfance, lui répondit de sang-froid le cavalier ; on m’a depuis nommé don Francisco de Zuniga, et je me nomme aujourd’hui le comte de Pedrosa. Calderone étonné de ces paroles, et voyant qu’il avait affaire à un homme de la première qualité, voulut s’excuser : Seigneur, dit-il au comte, je vous demande pardon, si, ne vous connaissant pas… Je ne veux point de tes excuses, interrompit avec hauteur Francillo ; je les méprise autant que tes malhonnêtetés. Apprends qu’un