Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/239

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nous rendîmes à ma terre, qui n’en est éloignée que de trois lieues. À mesure que nous nous en approchions, je prenais plaisir à voir mon secrétaire observer avec beaucoup d’attention tous les châteaux qui s’offraient à sa vue, à droite et à gauche, dans la campagne. Lorsqu’il en apercevait un de grande apparence, il ne manquait de me dire, en me le montrant du doigt : Je voudrais bien que ce fût là notre retraite.

Je ne sais, lui dis-je, mon ami, quelle idée tu as de notre habitation ; mais si tu t’imagines que c’est une maison magnifique, une terre de grand seigneur, je t’avertis que tu te trompes furieusement.

Si tu veux n’être pas la dupe de ton imagination, représente-toi la petite maison qu’Horace avait dans le pays des Sabins près de Tibur, et qui lui fut donnée par Mécénas. Don Alphonse m’a fait à peu près le même présent. Tant pis, s’écria Scipion ; je ne dois donc m’attendre qu’à voir une chaumière. Ce n’en est pas tout à fait une, lui répondis-je ; mais souviens-toi que je t’en ai toujours fait une description très modeste ; et, dès ce moment, tu peux juger par toi-même si j’en ai fait une belle peinture. Jette les yeux du côté de Guadalaviar, et regarde sur ses bords, auprès de ce hameau de neuf à dix feux, cette maison qui a quatre petits pavillons ; c’est mon château.

Comment diable ! dit alors mon secrétaire d’un ton de voix admiratif, c’est un bijou que cette maison ! Outre l’air de noblesse que lui donnent ses pavillons, on peut dire qu’elle est bien située, bien bâtie, et entourée de pays plus charmants que les environs même de Séville, appelés par excellence le paradis terrestre. Quand nous aurions choisi ce séjour, il ne serait pas plus de mon goût ; en vérité, je le trouve charmant : une rivière l’arrose de ses eaux ; un bois épais prête son ombrage quand on veut se promener au milieu du jour. L’aimable solitude ! Ah ! mon cher maître, nous avons bien la mine de demeurer ici longtemps ! Je suis ravi,