Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/240

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lui dis-je, que tu sois content de notre asile, dont tu ne connais pas encore tous les agréments.

En nous entretenant de cette sorte, nous nous avançâmes vers la maison, dont la porte nous fut ouverte, aussitôt que Scipion eut dit que c’était le seigneur Gil Blas de Santillane qui venait prendre possession de son château. À ce nom, si respecté des personnes qui l’entendirent prononcer, on laissa entrer ma chaise dans une grande cour où je mis pied à terre ; puis, m’appuyant pesamment sur Scipion, et faisant le gros dos, je gagnai une salle où je fus à peine arrivé, que sept à huit domestiques parurent. Ils me dirent qu’ils venaient me présenter leurs hommages comme à leur nouveau patron : que don César et don Alphonse de Leyva les avaient choisis pour me servir, l’un en qualité de cuisinier, l’autre d’aide de cuisine, un autre de marmiton, celui-ci de portier, et ceux-là de laquais, avec défense de recevoir de moi aucun argent, ces deux seigneurs prétendant faire tous les frais de mon ménage. Le cuisinier, nommé maître Joachim, était le principal de ces domestiques, et portait la parole, il faisait l’agréable : il me dit qu’il avait fait une ample provision de toutes sortes d’excellents vins ; et que, pour la bonne chère, il espérait qu’un garçon comme lui qui avait été six ans cuisinier de monseigneur l’archevêque de Valence, saurait composer des ragoûts qui piqueraient ma sensualité. Je vais, ajouta-t-il, me préparer à vous donner un échantillon de mon savoir-faire. Promenez-vous, Seigneur, en attendant le dîner ; visitez votre château ; voyez si vous le trouvez en état d’être habité par Votre Seigneurie.

Je laisse à penser si je négligeai cette visite, et Scipion, encore plus curieux que moi de la faire, m’entraîna de chambre en chambre. Nous parcourûmes toute la maison, depuis le haut jusqu’en bas ; il n’échappa pas, du moins à ce que nous crûmes, le moindre endroit à notre curiosité intéressée ; et j’eus partout occasion d’admirer la bonté que don César et son fils