Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/344

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Mais à propos de ce seigneur, poursuivit-il, on dit que tu vivais familièrement avec lui. Je suis curieux de savoir comment vous fîtes tous deux connaissance, et quel emploi ce ministre te fit exercer. Ne me déguise rien ; j’exige de toi un récit sincère. Je me souvins alors de l’embarras où je m’étais trouvé avec le duc de Lerme en pareil cas, et de quelle façon je m’en étais tiré ; ce que je pratiquai encore fort heureusement, c’est-à-dire que, dans ma narration, j’adoucis les endroits rudes, et passai légèrement sur les choses qui me faisaient peu d’honneur. Je ménageai aussi le duc de Lerme, quoiqu’en ne l’épargnant point du tout j’eusse fait peut-être plus de plaisir à mon auditeur. Pour don Rodrigue de Calderone, je ne lui fis grâce de rien. Je détaillai tous les beaux coups que je savais qu’il avait faits dans le trafic des commanderies, des bénéfices et des gouvernements.

Ce que tu m’apprends de Calderone, interrompit le ministre, est conforme à certains mémoires qui m’ont été présentés contre lui, et qui contiennent des chefs d’accusation encore plus importants. On va bientôt lui faire son procès ; et, si tu souhaites qu’il succombe dans cette affaire, je crois que tes vœux seront satisfaits[1].

  1. C’est ici le lieu de finir l’histoire singulière de ce fameux premier commis. « La disgrâce du duc de Lerme fut suivie de près de celle de don Rodrigue Calderone, comte d’Oliva, son favori, qui fut arrêté et mis en prison (en 1619). La fortune et le sort de cet homme ont quelque chose d’extraordinaire. Il était fils d’un pauvre soldat et d’une Flamande, dont on n’aurait jamais entendu parler sans leur fils, qui avait de grands talents. Étant entré chez le duc de Lerme, encore marquis de Denia, il devint son favori. On a remarqué comme une chose particulière au duc de Lerme, qu’il éleva son favori aussi haut que s’il eût été celui du roi ; non seulement il le rendit riche de cent mille ducats de rente, mais il lui procura des titres et des honneurs, et lui permit même d’aspirer à une vice-royauté. Tant de faveurs excitèrent l’envie, que son humeur hautaine et méprisante changea bientôt en haine ; et son père lui prédit plusieurs fois qu’il périrait s’il ne conduisait mieux sa barque. On l’accuse de la mort du prince Philippe-Emmanuel de Savoie, de celle de la reine Marguerite, et de plusieurs autres crimes ; mais après que son procès eut duré deux ans et demi, on ne put prouver ce dont on l’accusait. On le retint tout ce temps-là en prison. On prétend que l’on tira le procès si fort en longueur, tant pour empêcher qu’il ne se sauvât que pour entretenir la haine du public contre le duc son maître, et prévenir le retour de sa faveur. » (Histoire universelle, tome XXIX, p. 109.)

    Enfin, en 1621, après avoir eu de Philippe III des lettres d’absolution de