Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/353

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promesses que le comte d’Olivarès y faisait, et entre autres celle de fournir par une sage économie aux dépenses de l’État, sans incommoder les sujets, elles éblouirent les citoyens en général, et les confirmèrent dans la grande opinion qu’ils avaient déjà de ses lumières : si bien que toute la ville retentit de ses louanges.

Ce ministre, ravi de se voir parvenu à son but, qui n’avait été, dans cet ouvrage, que de s’attirer l’affection publique, voulut la mériter véritablement par une action louable, et qui fût utile au roi. Pour cet effet, il eut recours à l’invention de l’empereur Galba ; c’est-à-dire qu’il fit rendre gorge aux particuliers qui s’étaient enrichis, Dieu sait comment, dans les régies royales. Quand il eut tiré de ces sangsues le sang qu’elles avaient sucé, et qu’il en eut rempli les coffres du roi, il entreprit de l’y conserver, en faisant supprimer toutes les pensions, sans en excepter la sienne, aussi bien que les gratifications qui se faisaient des deniers du prince. Pour réussir dans ce dessein, qu’il ne pouvait exécuter sans changer la face du gouvernement, il me chargea de composer un nouveau mémoire dont il me dit la substance et la forme. Ensuite, il me recommanda de m’élever autant qu’il me serait possible au-dessus de la simplicité ordinaire de mon style, pour donner plus de noblesse à mes phrases. Cela suffit, Monseigneur, lui dis-je ; Votre Excellence veut du sublime et du lumineux ; elle en aura. Je m’enfermai dans le même cabinet où j’avais déjà travaillé ; et là je me mis à l’ouvrage, après avoir invoqué le génie éloquent de l’archevêque de Grenade.

Je débutai par représenter qu’il fallait garder avec soin tout l’argent qui était dans le trésor royal, et qu’il ne devait être employé qu’aux seuls besoins de la monarchie, comme étant un fonds sacré, qu’il était à propos de se réserver pour tenir en respect les ennemis de l’Espagne. Ensuite je faisais voir au monarque, car