Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/36

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mot de tous ces discours, prit au pied de la lettre ce qu’il plut à la veuve de don Antonio de débiter. Il se mêla même à l’entretien : il me demanda si j’avais quelque emploi à Grenade ou ailleurs. Je doutai un moment si je mentirais ; mais, ne jugeant pas cela nécessaire, je dis la vérité. Je contai de point en point comment j’étais entré à l’archevêché, et de quelle façon j’en étais sorti ; ce qui divertit infiniment le seigneur portugais. Il est vrai que, malgré la promesse faite à Melchior, je m’égayai un peu aux dépens de l’archevêque. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que Laure, qui s’imaginait que je composais une fable à son exemple, faisait des éclats de rire qu’elle n’aurait pas faits, si elle eût su que je ne mentais point.

Après avoir achevé mon récit, que je finis par la chambre que j’avais louée, on vint avertir qu’on avait servi. Je voulus aussitôt me retirer pour aller dîner à mon auberge ; mais Laure m’arrêta. Quel est votre dessein, mon frère ? me dit-elle. Vous dînerez avec moi. Je ne souffrirai pas même que vous soyez plus longtemps dans une chambre garnie. Je prétends que vous mangiez dans ma maison, et que vous y logiez. Faites apporter vos hardes ce soir : il y a ici un lit pour vous.

Le seigneur portugais, à qui peut-être cette hospitalité ne faisait pas plaisir, prit alors la parole, et dit à Laure : Non, Estelle, vous n’êtes pas logée ici assez commodément pour recevoir quelqu’un chez vous. Votre frère, ajouta-t-il, me paraît un joli garçon ; et l’avantage qu’il a de vous toucher de si près m’intéresse pour lui. Je veux le prendre à mon service. Ce sera celui de mes secrétaires que je chérirai le plus ; j’en ferai mon homme de confiance. Qu’il ne manque pas de venir dès cette nuit coucher chez moi : j’ordonnerai qu’on lui prépare un logement. Je lui donne quatre cents ducats d’appointements ; et si dans la suite j’ai sujet, comme je l’espère, d’être content de lui, je le