Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/373

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seigneur même, pour apprendre de sa propre bouche les sujets qu’il pouvait avoir de se plaindre du fils de don César.

J’étais si pénétré de ce fâcheux événement, que je n’eus pas besoin d’affecter un air de tristesse pour paraître affligé aux yeux du comte-duc. Qu’as-tu donc, Santillane ? me dit-il aussitôt qu’il me vit. J’aperçois sur ton visage une impression de chagrin ; je vois même des larmes prêtes à couler de tes yeux. Qu’est-ce que cela signifie ? ne me déguise rien. Quelqu’un t’aurait-il fait quelque offense ? Parle, tu seras bientôt vengé. Monseigneur, lui répondis-je en pleurant, quand je voudrais vous cacher ma douleur, je ne le pourrais pas : je suis au désespoir. On vient de me dire que don Alphonse de Leyva n’est plus gouverneur de Valence ; on ne pouvait m’annoncer une nouvelle plus capable de me causer une mortelle affliction. Que dis-tu, Gil Blas ? reprit le ministre étonné ; quel intérêt peux-tu prendre à ce don Alphonse et à son gouvernement ? Alors je lui fis un détail des obligations que j’avais aux seigneurs de Leyva ; ensuite, je lui racontai de quelle façon j’avais obtenu du duc de Lerme, pour le fils de don César, le gouvernement dont il s’agissait.

Quand Son Excellence m’eut écouté jusqu’au bout avec une attention pleine de bonté pour moi, il me dit : Essuie tes pleurs, mon ami. Outre que j’ignorais ce que tu viens de m’apprendre, je t’avouerai que je regardais don Alphonse comme une créature du cardinal de Lerme. Je te mets à ma place : la visite qu’il a faite à cette Éminence ne te l’aurait-elle pas rendu suspect ? Je veux bien croire pourtant qu’ayant été pourvu de son emploi par ce ministre, il peut avoir fait cette démarche par un pur mouvement de reconnaissance, et je la lui pardonne. Je suis fâché d’avoir déplacé un homme qui te devait son poste ; mais si j’ai détruit ton ouvrage, je puis le réparer. Je veux même encore plus faire pour toi que le duc de Lerme. Don Alphonse, ton