Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/374

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ami, n’était que gouverneur de la ville de Valence : je le fais vice-roi du royaume d’Aragon : c’est ce que je te permets de lui faire savoir, et tu peux lui mander de venir prêter serment.

Lorsque j’eus entendu ces paroles, je passai d’une extrême douleur à un excès de joie qui me troubla l’esprit à un point qu’il y parut au remercîment que je fis à monseigneur ; mais le désordre de mon discours ne lui déplut point ; et, comme je lui appris que don Alphonse était à Madrid, il me dit que je pouvais le lui présenter dès ce jour-là même. Je courus aussitôt à l’image Saint-Gabriel, où je ravis le fils de don César en lui annonçant son nouvel emploi. Il ne pouvait croire ce que je lui disais, tant il avait de peine à se persuader que le premier ministre, quelque amitié qu’il eût pour moi, fût capable de donner des vice-royautés à ma considération ! Je le menai au comte-duc, qui le reçut très poliment, et qui lui dit : Don Alphonse, vous vous êtes si bien conduit dans votre gouvernement de la ville de Valence, que le roi, vous jugeant propre à remplir une plus grande place, vous a nommé à la vice-royauté d’Aragon. Cette dignité, ajouta-t-il, n’est point au-dessus de votre naissance, et la noblesse aragonaise ne saurait murmurer contre le choix de la cour.

Son Excellence ne fit aucune mention de moi, et le public ignora la part que j’avais à cette affaire ; ce qui sauva don Alphonse et le ministre des mauvais discours qu’on aurait pu tenir dans le monde sur le vice-roi de ma façon.

Sitôt que le fils de don César fut sûr de son fait, il dépêcha un exprès à Valence pour en informer son père et Séraphine, qui se rendirent bientôt à Madrid. Leur premier soin fut de me venir trouver pour m’accabler de remercîments. Quel spectacle touchant et glorieux pour moi, de voir les trois personnes du monde qui m’étaient les plus chères m’embrasser à l’envi ! Aussi sensibles à mon zèle et à mon affection qu’à l’honneur