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satisfait sa curiosité, elle contenta la mienne, en me faisant le récit de son histoire dans ces termes.


CHAPITRE VII

Histoire de Laure.


Je vais te conter, le plus succinctement qu’il me sera possible, par quel hasard j’ai embrassé la profession comique.

Après que tu m’eus si honnêtement quittée, il arriva de grands événements. Arsénie, ma maîtresse, plus fatiguée que dégoûtée du monde, abjura le théâtre, et m’emmena avec elle à une belle terre qu’elle venait d’acheter auprès de Zamora, en monnaies étrangères[1]. Nous eûmes bientôt fait des connaissances dans cette ville-là. Nous y allions assez souvent ; nous y passions un jour ou deux. Nous venions ensuite nous enfermer dans notre château.

Dans un de ces petits voyages, don Félix Maldonado, fils unique du corrégidor, me vit par hasard, et je lui plus. Il chercha l’occasion de me parler sans témoins ; et, pour ne te rien celer, je contribuai un peu à la lui faire trouver. Le cavalier n’avait pas vingt ans ; il était beau comme l’Amour même, fait à peindre, et plus séduisant encore par ses manières galantes et généreuses que par sa figure. Il m’offrit de si bonne grâce et avec tant d’instances un gros brillant qu’il avait au doigt, que je ne pus me défendre de l’accepter. Je ne me sentais pas d’aise d’avoir un galant si aimable. Mais quelle imprudence aux grisettes de s’attacher aux enfants de famille dont les pères ont de l’autorité ! Le corrégidor, le plus sévère de ses pareils, averti de notre intelli-

  1. C’est-à-dire avec de l’argent que lui avaient fourni des amants étrangers.