Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/39

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gence, se hâta d’en prévenir les suites. Il me fit enlever par une troupe d’alguazils qui me menèrent, malgré mes cris, à l’hôpital de la Pitié.

Là, sans autre forme de procès, la supérieure me fit ôter ma bague et mes habits, et revêtir d’une longue robe de serge grise, ceinte par le milieu d’une large courroie de cuir noir, d’où pendait un rosaire à gros grains qui me descendait jusqu’aux talons. On me conduisit après cela dans une salle où je trouvai un vieux moine de je ne sais quel ordre, qui se mit à me prêcher la pénitence, à peu près comme la dame Léonarde t’exhorta dans le souterrain à la patience. Il me dit que j’avais bien de l’obligation aux personnes qui me faisaient enfermer ; qu’elles m’avaient rendu un grand service en me retirant des filets du démon, dans lesquels j’étais malheureusement engagée. J’avouerai franchement mon ingratitude : bien loin de me sentir redevable à ceux qui m’avaient fait ce plaisir-là, je les chargeais d’imprécations.

Je passai huit jours à me désoler ; mais le neuvième, car je comptais jusqu’aux minutes, mon sort parut vouloir changer de face. En traversant une petite cour, je rencontrai l’économe de la maison, personnage à qui tout était soumis ; la supérieure même lui obéissait. Il ne rendait compte de son économat qu’au corrégidor, de qui seul il dépendait, et qui avait une entière confiance en lui. Il se nommait Pedro Zendono ; et le bourg de Salsedon, en Biscaye, l’avait vu naître. Représente-toi un grand homme pâle et décharné, une figure à servir de modèle pour peindre le bon larron. À peine paraissait-il regarder les sœurs. Tu n’as jamais vu de figure si hypocrite, quoique tu aies demeuré à l’archevêché.

Je rencontrai donc, poursuivit-elle, le seigneur Zendono, qui m’arrêta en me disant : Consolez-vous, ma fille, je suis touché de vos malheurs. Il n’en dit pas davantage, et il continua son chemin, me laissant faire