Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/391

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vaut, comme je me préparais à partir, un petit laquais entra dans ma chambre, et me dit : Voici un billet que j’ai à remettre au seigneur de Santillane. C’est moi, mon enfant, lui répondis-je en prenant la lettre que j’ouvris, et qui contenait ces paroles : Oubliez la manière dont vous fûtes reçu hier au soir dans les foyers comiques, et laissez-vous conduire où le porteur vous mènera. Je suivis aussitôt le petit laquais, qui, quand nous fûmes auprès de la Comédie, m’introduisit dans une fort belle maison, où, dans un appartement des plus propres, je trouvai Laure à sa toilette.

Elle se leva pour m’embrasser, en me disant : Seigneur Gil Blas, je sais bien que vous n’avez pas sujet d’être content de la réception que je vous ai faite quand vous m’êtes venu saluer dans nos foyers : un ancien ami comme vous était en droit d’attendre de moi un accueil plus gracieux ; mais je vous dirai, pour m’excuser, que j’étais de la plus mauvaise humeur du monde. Lorsque vous vous êtes montré à mes yeux, j’étais occupée de certains discours médisants qu’un de nos messieurs a tenus sur le compte de ma nièce, dont l’honneur m’intéresse plus que le mien. Votre brusque retraite, ajouta-t-elle, me fit tout à coup apercevoir de ma distraction, et dans le moment je chargeai mon petit laquais de vous suivre pour savoir votre demeure, dans le dessein de réparer aujourd’hui ma faute. Elle est toute réparée, lui dis-je, ma chère Laure ; n’en parlons plus : apprenons-nous plutôt mutuellement ce qui nous est arrivé depuis le jour malheureux où la crainte d’un juste châtiment me fit sortir de Grenade avec précipitation. Je vous laissai, s’il vous en souvient, dans un assez grand embarras : comment vous en tirâtes-vous ? Malgré tout l’esprit que vous avez, avouez que ce ne fut pas sans peine. N’est-il pas vrai que vous eûtes besoin de toute votre adresse pour apaiser votre amant portugais ? Point du tout, répondit Laure ; ne savez-vous pas bien qu’en pareil cas les hommes sont