Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/395

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Belle Lucrèce, lui répondis-je, c’est ce que nous ne devons appréhender ni l’un ni l’autre : je crains plutôt qu’enflammant tous les cœurs, vous ne causiez de la division parmi nos grands. La frayeur de ma nièce, me dit Laure, est mieux fondée que la vôtre ; mais j’espère qu’elles seront vaines toutes deux : si Lucrèce ne peut faire de bruit par ses charmes, en récompense elle n’est pas assez mauvaise actrice pour devoir être méprisée.

Nous continuâmes encore quelque temps cette conversation, et j’eus lieu de juger, par tout ce que Lucrèce y mit du sien, que c’était une fille d’un esprit supérieur ; ensuite je pris congé de ces deux dames, en leur protestant qu’elles auraient incessamment un ordre de la cour pour se rendre à Madrid.


CHAPITRE II.

Santillane rend compte de sa commission au ministre, qui le charge du soin de faire venir Lucrèce à Madrid. De l’arrivée de cette comédienne et de son début à la cour.


À mon retour à Madrid, je trouvai le comte-duc fort impatient d’apprendre le succès de mon voyage. Gil Blas, me dit-il, as-tu vu la comédienne en question ? vaut-elle la peine qu’on la fasse venir à la cour ? Monseigneur, lui répondis-je, la renommée, qui loue ordinairement plus qu’il ne faut les belles personnes, ne dit pas assez de bien de la jeune Lucrèce ; c’est un sujet admirable, tant pour sa beauté que pour ses talents.

Est-il possible, s’écria le ministre avec une satisfaction intérieure que je lus dans ses yeux, et qui me fit penser que c’était pour son propre compte qu’il m’avait envoyé à Tolède, est-il possible qu’elle soit aussi aimable que tu le dis ? Quand vous la verrez, lui repartis-je, vous avouerez qu’on ne peut faire son éloge qu’au