Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/397

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recevoir par ordre de la cour. Elles débutèrent dans une comédie qu’elles avaient coutume de jouer à Tolède avec applaudissement.

Dans quel endroit du monde n’aime-t-on pas la nouveauté en fait de spectacles ? Il se trouva ce jour-là, dans la salle des comédiens, un concours extraordinaire de spectateurs. On juge bien que je ne manquai pas cette représentation. Je souffris un peu avant que la pièce commençât. Tout prévenu que j’étais en faveur des talents de la mère et de la fille, je tremblais pour elles, tant j’étais dans leurs intérêts ! Mais à peine eurent-elles ouvert la bouche, qu’elles m’ôtèrent toute ma crainte par les applaudissements qu’elles reçurent. On regarda Estelle comme une actrice consommée dans le comique, et Lucrèce comme un prodige pour les rôles d’amoureuses. Cette dernière enleva tous les cœurs. Les uns admirèrent la beauté de ses yeux, les autres furent touchés de la douceur de sa voix, et tous, frappés de ses grâces et du vif éclat de sa jeunesse, sortirent enchantés de sa personne.

Le comte-duc, qui prenait encore plus de part que je ne croyais au début de cette actrice, était à la comédie ce soir-là. Je le vis sortir sur la fin de la pièce, fort satisfait, à ce qu’il me parut, de nos deux comédiennes. Curieux de savoir s’il en était véritablement bien affecté, je le suivis chez lui ; et m’introduisant dans son cabinet où il venait d’entrer : Eh bien ! Monseigneur, lui dis-je, Votre Excellence est-elle contente de la petite Marialva ? Mon Excellence, répondit-il en souriant, serait bien difficile, si elle refusait de joindre son suffrage à celui du public. Oui, mon enfant, ton voyage à Tolède a été heureux. Je suis charmé de ta Lucrèce et je ne doute pas que le roi ne prenne plaisir à la voir.