Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/399

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informer. Je ne doute pas que vous ne fassiez tous vos efforts, votre fille et vous, pour répondre à l’honneur que ce monarque veut vous faire ; mais je vous conseille de choisir une pièce où il y ait de la danse et de la musique, pour lui faire admirer tous les talents que Lucrèce possède. Nous suivrons votre conseil, me répondit Laure ; nous n’aurons garde d’y manquer, et il ne tiendra pas à nous que le Prince ne soit satisfait. Il ne saurait manquer de l’être, lui dis-je en voyant arriver Lucrèce dans un déshabillé qui lui prêtait plus de charmes que ses habits de théâtre les plus superbes : il sera d’autant plus content de votre aimable nièce, qu’il aime plus que toute autre chose la danse et le chant ; il pourrait bien même être tenté de lui jeter le mouchoir. Je ne souhaite point du tout, reprit Laure, qu’il ait cette tentation ; tout puissant monarque qu’il est, il pourrait trouver des obstacles à l’accomplissement de ses désirs. Lucrèce, quoique élevée dans les coulisses d’un théâtre, a de la vertu ; et, quelque plaisir qu’elle prenne à se voir applaudir sur la scène, elle aime encore mieux passer pour honnête fille que pour bonne actrice.

Ma tante, dit alors la petite Marialva en se mêlant à la conversation, pourquoi se faire des monstres pour les combattre ? Je ne serai jamais à la peine de repousser les soupirs du roi ; la délicatesse de son goût le sauvera des reproches qu’il mériterait, s’il abaissait jusqu’à moi ses regards. Mais, charmante Lucrèce, lui dis-je, s’il arrivait que ce prince voulût s’attacher à vous et vous choisir pour sa maîtresse, seriez-vous assez cruelle pour le laisser languir dans vos fers comme un amant ordinaire ? Pourquoi non ? répondit-elle. Oui, sans doute ; et, vertu à part, je sens que ma vanité serait plus flattée d’avoir résisté à sa passion, que si je m’y étais rendue. Je ne fus pas peu étonné d’entendre parler de cette sorte une élève de Laure ; et je quittai ces dames, en louant la dernière d’avoir donné à l’autre une si belle éducation.