Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/422

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domestiques ; puis il se retirait ordinairement tout seul dans son cabinet, où il demeurait jusqu’au coucher du soleil ; alors il faisait le tour de son jardin, ou bien il allait en carrosse se promener aux environs de son château, accompagné tantôt de son confesseur, et tantôt de moi.

Un jour que j’étais seul avec lui, et que j’admirais la sérénité qui brillait sur son visage, je pris la liberté de lui dire : Monseigneur, permettez-moi de laisser éclater ma joie ; à l’air de satisfaction que je vous vois, je juge que Votre Excellence commence à s’accoutumer à la retraite. J’y suis déjà tout accoutumé, me répondit-il ; et, quoique je sois depuis longtemps dans l’habitude de m’occuper d’affaires, je te proteste, mon enfant, que je prends de jour en jour plus de goût à la vie douce et paisible que je mène ici.


CHAPITRE XI

Le comte-duc devient tout à coup triste et rêveur. Du sujet étonnant de sa tristesse, et de la suite fâcheuse qu’elle eut.


Monseigneur, pour varier ses occupations, s’amusait aussi quelquefois à cultiver son jardin. Un jour que je le regardais travailler, il me dit en plaisantant : Tu vois, Santillane, un ministre banni de la cour, devenu jardinier à Loeches. Monseigneur, lui répondis-je sur le même ton, je m’imagine voir Denys de Syracuse maître d’école à Corinthe. Mon maître sourit de la réponse, et ne me sut pas mauvais gré de la comparaison.

Nous étions tous ravis au château de voir le patron, supérieur à sa disgrâce, trouver des charmes dans une vie si différente de celle qu’il avait toujours menée, lorsque nous nous aperçûmes avec douleur qu’il changeait