Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/430

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pareils ? n’est-il pas fier de sa noblesse, et insolent avec les roturiers ? Oh ! pour cela non, répondit Béatrix, c’est un garçon d’une douceur et d’une politesse achevées, de bonne mine d’ailleurs, et qui n’a pas encore trente ans accomplis. Vous nous faites, dis-je à Béatrix, un assez beau portrait de ce cavalier ; comment s’appelle-t-il ? Don Juan de Jutella, repartit la femme de Scipion : il n’y a pas longtemps qu’il a recueilli la succession de son père, et il vit dans son château, éloigné d’ici d’une lieue, avec une sœur cadette qu’il a sous sa conduite. J’ai autrefois, repris-je, entendu parler de la famille de ce gentilhomme ; c’est une des plus nobles du royaume de Valence. J’estime moins la noblesse, s’écria Scipion, que les qualités du cœur et de l’esprit ; et ce don Juan nous conviendra si c’est un honnête homme. Il en a la réputation, dit Séraphine en se mêlant à l’entretien ; les habitants de Lirias qui le connaissent en disent tous les biens du monde. À ces paroles de ma filleule, je regardai avec un souris son père, qui, les ayant saisies aussi bien que moi, jugea que le galant ne déplaisait point à sa fille.

Ce cavalier apprit bientôt notre arrivée à Lirias, puisque deux jours après nous le vîmes paraître au château ; il nous aborda de bonne grâce ; et, bien loin de démentir par sa présence ce que Béatrix nous avait dit de lui, il nous fit concevoir une haute opinion de son mérite. Il nous dit qu’en qualité de voisin il venait nous féliciter sur notre heureux retour. Nous le reçûmes le plus gracieusement qu’il nous fut possible : mais cette visite ne fut que de pure civilité ; elle se passa tout en compliments de part et d’autre ; et don Juan, sans nous dire un mot de son amour pour Séraphine, se retira en nous priant seulement de lui permettre de nous revenir voir, et de profiter d’un voisinage qu’il prévoyait lui devoir être d’un grand agrément. Lorsqu’il nous eut quittés, Béatrix nous demanda ce que nous pensions de ce gentilhomme. Nous lui répondîmes