Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/27

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de cet être fantastique, de cette femme de vision (spakanua) qui tient de la Parque grecque, de la nymphe latine, de la druidesse celtique, la fée. « On a fait de fatum, fata, dit M. Alfred Maury, fae, fée, féerie, comme on avait fait de pratum, prata, prae, pré, prairie, »

Il importe de ne pas oublier ce fait essentiel, qui a, dans l’espèce, une importance tout à fait capitale, que les restes du paganisme furent très lents à s’effarer dans la Gaule et la Germanie, depuis longtemps converties. Les conciles fulminèrent souvent l’anathème contre ces superstitions idolâtres et opiniâtres qui avaient survécu au triomphe du christianisme ; et les Capitulaires édictent encore des peines contre les auteurs et les propagateurs de ce culte furtif rendu traditionnellement aux divinités inférieures, domestiques, champêtres, qui recevaient, en fraude des droits uniques du Christ, des prières et des offrandes sur les pierres des dolmens bretons, au pied des chênes, des hêtres, des tilleuls, des aubépines fatidiques, à la source, couronnée de fleurs, des fontaines hantées.

On peut dire qu’il existe encore dans nos campagnes des traces indélébiles de cette superstition païenne et celtique, rebelle aux enseignements de l’école comme à ceux de l’église. Le commerce intime de la nature, pour le travailleur de la terre et pour certains métiers agrestes, pâtres, bûcherons, charbonniers, pêcheurs, la pratique de la solitude, la fréquentation du mystère des bois et des eaux, encouragent invinciblement cette tendance, naturelle à l’homme, qui le pousse à concrétiser l’abstrait, à personnifier les influences dont il dépend, adonner une forme à l’invisible, une figure à l’inconnu dont il est entouré, une âme aux bêtes, une voix aux choses mêmes.

Celle tendance est de tous temps. Elle a présidé, sous l’empire du polythéisme, à la création des Parques, des nymphes, des nymphes des eaux (naïades), nymphes des bois (dryades et hamadryades), des centaures, des faunes, des satyres et des œgipans. Et, en dépit de l’empire du christianisme même, elle a présidé à la création, par l’imagination celtique et Scandinave, des fées, des enchanteurs, des géants, des nains, des sylphes, lutins, farfadets, korrigans, kobolds, elfs.

Les elfs, cette famille germaine des esprits familiers, sont un genre des plus féconds, puisqu’il comprend les neks, les niks, les