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C’est à l’île d’Avalon que les poètes chevaleresques placent le royaume de féerie. Les fées ont des lieux de séjour favoris, des rendez-vous de prédilection. On dit ces lieux faés, chers aux fées, et participant de leur influence. La forêt des Ardennes, l’ancienne fontaine druidique de Baranton, dans la forêt de Brocéliande, la forêt de Colombiers en Poitou, et bien d’autres lieux, que nous citerons bientôt, sont des lieux faés par excellence.

Là soule l’en les fées veoir,


écrivait, en 1096, Robert Wace, de la fontaine de Baranton. C’est là que la célèbre fée Viviane (corruption de vivlian, génie des bois, dans les chants celtiques) habita il un buisson d’aubépine où elle tint Merlin ensorcelé, enchanté. C’est près de la fontaine aux Fées, dans la forêt de Colombiers en Poitou, que Mélusine apparut à Raimondin[1]. Marie de France, dans le lai de Graelent, place aussi à l’affût, près d’une fontaine hantée, la fée dont Graelent devint amoureux, et qui l’entraîna avec elle on n’a jamais su où. Dans le lai de Lanval, c’est aussi près d’une rivière faée que Lanval rencontra la fée éprise de lui qui l’emmena dans l’île d’Avalon, après l’avoir soustrait aux ressentiments jaloux de Genèvre[2].

Au quatorzième et au quinzième siècle, la croyance aux fées, à leur influence sur le sort des nouveau-nés, aux caprices de passion qui les enchaînaient parfois à la destinée d’un homme, d’un héros privilégié[3], luttait encore contre les anathèmes de l’église, qui condamnait cette superstition comme attentatoire à la liberté et à la responsabilité humaines, et traitait les fées d’êtres idolâtriques, diaboliques, dont se moquait encore timidement le chroniqueur : « Mon enfant, dit un auteur anonyme du temps, cité par M. Le Roux de Lincy, les fées ce ostoient deables qui disoient que les gens estoient destinez et faes les uns à bien, les autres à mal, selon le cours du ciel et de la nature, comme se un enfant naissoit à tele heure ou en tel cours, il li estoit destiné qu’il seroit pendu ou qu’il serait noie, et qu’il espouseroit tel dame, ou teles destinées ; pour

  1. Histoire de Mélusine, par Jean d’Arras. Paris, 1698, in-12.
  2. Un enfant naissait parfois de ces amours. Voir le Bel Inconnu ou Giglain fils de messire Gauvain et de la fée aux blanches mains, poème du treizième siècle, par Renaud de Beaulieu, publié par Hippeau. Aubry, 1860.
  3. Le livre des Légendes, Introduction.