Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/336

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« Ma douleur ne m’a pas empêché d’écouter les conseils qu’on vient de vous donner ; et, n’en déplaise à la compagnie, je les trouve tous impertinents. Voici le mien :

« J’ai depuis quelque temps un écuyer chez moi : je ne sais ni d’où il vient, ni ce qu’il est ; mais je sais bien que, depuis qu’il est avec moi, je ne me mêle plus des affaires de la maison : c’est un démon qui sait tout ; et, quoique j’aie l’honneur d’être votre sénéchal, je ne suis qu’une bête auprès de lui ; mnia femme me le dit tous les jours.

« Or, si Votre Majesté trouvait bon de le consulter sur une affaire aussi difficile que celle-ci, je me persuade qu’elle en aurait contentement.

— Volontiers, mon sénéchal, dit le calife, d’autant que je serais bien aise de voir un homme qui eût plus d’esprit que vous. »

On l’envoya chercher ; mais il refusa de venir, qu’on n’eût renfermé la princesse et ses beaux yeux. « Eh bien, Sire, dit le sénéchal, que vous avais-je dit ? — Oh ! oh ! dit le calife, il en sait beaucoup ; qu’on le fasse venir, il ne verra point ma fille. » Il ne fut pas longtemps à venir : il n’était ni bien ni mal fait ; cependant il avait quelque chose d’agréable dans l’air, et d’assez fin dans la physionomie.

« Parlez-lui hardiment, Sire, dit le sénéchal ; il entend toutes sortes de langues. » Le calife, qui ne savait que la sienne, et même assez vulgairement, après avoir quelque temps rêvé pour trouver un tour spirituel : « Mon ami, lui dit-il, comment vous appelez-vous ? — Tarare, répondit-il. — Tarare ! dit le calife. — Tarare ! dirent tous les conseillers — Tarare ! dit le sénéchal. — Je vous demande, dit le calife, comment vous vous appelez. — Je le sais bien, Sire,