Aller au contenu

Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout ils animent la nature, et la foi dans leur empire est le fond de la croyance populaire en tout pays. Le nom des fées est romain lui-même, et on lui cherche vainement une autre origine. Les mots même de Fatum et de Fata se lisent, avec le sens d’esprit familier, d’être surnaturel, de protecteur domestique, d’enchanteresse sur une foule d’inscriptions latines répandues dans l’Europe romaine.

« La synonymie de fata ou fatum et de Parque ou sibylle n’est pas douteuse, Or, le nom de fata ou fada est celui qu’a retenu la langue romane du moyen age pour désigner les fées. Nos idiomes du Midi n’en ont pas d’autre, et la célèbre fée Esterelle de Provence n’est pas différemment connue dans les plus anciens monuments. Le vieux roman de Lancelot du Lac a gardé la même trace d’étymologie pour la langue des trouvères, et peu importe que les dialectes modernes en aient altéré la dernière forme. « Fée, selon le latin, vaut autant comme Destinée, dit un auteur du moyen âge. Fatatrices vocabantur. »

« Or, si l’on se souvient du nombreux personnel de divinités subalternes qui, dans la religion romaine, faisaient cortège à l’homme depuis sa conception jusqu’à sa mort ; si l’on se souvient qu’à l’époque de la destruction du paganisme, l’attaque des chrétiens se dirigea surtout contre les grands dieux qui tombèrent les premiers sous les coups de la raison et de la vérité, mais que la polémique s’attacha moins vivement aux superstitions vulgaires qu’elle parut dédaigner, de telle sorte que les dieux domestiques, les génies locaux, les esprits familiers qui avaient fait comme la seconde ou la troisième couche du culte païen, purent se réfugier dans les campagnes, et y conserver pendant longtemps des sectateurs, d’où le nom de pagani, on ne sera point étonné de retrouver les dévotions païennes du peuple des champs encore vivantes sous le christianisme, et mêlées avec les pratiques de la nouvelle religion, où la poésie a été les chercher, au réveil de l’esprit humain, et au début de la formation des sociétés modernes.

« Dans ce caput mortuum des vieux cultes du paganisme, abolis ou modifiés, chaque nationalité croissante a puisé, après le démembrement de l’Empire, un fonds de superstitions qu’elle s’est appropriées, en les mêlant avec d’autres qui leur étaient particulières, et de ce mélange est sortie une théurgie romanesque dont la chevalerie a plus tard modifié les inventions au gré des caprices poétiques. La magie, la féerie, les esprits, les farfadets, les enchanteurs, les ogres du moyen Age, tirent donc leur origine de la famille de Médée, des devineresses, des Parques, des sibylles, des lamies, des cyclopes et autres êtres de ce genre que l’antiquité a redoutés, honorés, écoutés ou invoqués ; car il est des traditions de crainte, d’espérance ou d’amour qui sont impérissables parmi les hommes. Une fois entrées dans le cerveau humain, elles n’en sortent plus ; chaque peuple et chaque siècle leur donne sa couleur. Rabelais voyage au pays des phées avec ses souvenirs de vieille histoire.