Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/37

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édition des Contes de Perrault[1], montre que le fonds de la féerie est un fonds commun, un canevas antique brodé successivement par l’imagination de tous les peuples ; que le double besoin d’imagination et de sensibilité qui a fait créer une divinité inférieure, intime, domestique, familière, accessible à tous, ne dédaignant ni le commerce du pâtre, ni l’hospitalité de l’aire rustique, hantant la chaumière comme le château, et l’a placée dans ce monde imaginaire, dans ce ciel réparateur où sont corrigées les inégalités de condition et les injustices du monde réel, que ce double besoin est ancien comme l’homme lui-même. Il a participé à toutes les vicissitudes de son histoire, de telle sorte qu’on peut dire que si la robe de la fée est latine, sa baguette est grecque, et que si son voile est d’un tissu germain ou gothique, il est brodé de fleurs mauresques, et que son pied est chaussé de la babouche arabe.

« La féerie n’est qu’une variété de la fiction que, dans tous les temps et tous les pays, la poésie a employée pour remuer l’imagination humaine… L’homme est partout et toujours fasciné par le merveilleux… Le simple conte, petit poème en miniature, épopée familière, réduite à quelques lignes, emprunte aussi au merveilleux son attrait et sa puissance, et, par le merveilleux, le conte acquiert la popularité. Le conte merveilleux est une branche principale de la poésie populaire. Dès la jeunesse des sociétés, il a offert à l’homme un attrait irrésistible.

« Quant à la forme elle-même dans laquelle le merveilleux se manifeste dans l’histoire littéraire, on y peut remarquer d’abord un fonds commun d’inventions qui semble à l’usage de l’humanité tout entière ; on le rencontre partout où l’homme se développe, sous l’influence des mêmes causes et des mêmes éléments de civilisation. Indépendamment de ce fonds commun. Il est facile de reconnaître, parmi les monuments divers de l’imagination poétique, les caractères particuliers des nations au milieu desquelles ils se produisent. Enfin on peut remarquer, dans les œuvres des conteurs ou des poètes, une sorte de généalogie d’histoires fabuleuses, un courant d’imitation et d’emprunts qui, quoique insensible en apparence, n’en a pas moins une incontestable réalité. Tel est le cas d’une foule de contes merveilleux dont on retrouve le passage d’une littérature à une autre, pour peu qu’on y applique ses recherches et qu’on y attache d’attention.

« Nous découvrons ces divers phénomènes soit isolés, soit combinés dans l’histoire de la féerie. On rencontre des génies bienfaisants et malfaisants, des enchanteurs, des magiciens dans l’antiquité classique tout entière. Par-

  1. Lyon, imprimerie de Louis Perrin, 2e édition, 1865.