Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/417

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le royaume de Cachemire. Mon père en était souverain : c’était de tous les mortels celui qui avait le plus pénétré dans les secrets les moins pénétrables de la nature ; mais, comme il se livrait tout entier à la spéculation, il négligea le gouvernement de ses États pour s’informer comment les étoiles se gouvernent là-haut.

« Son pays, arrosé par les deux plus grands fleuves de l’univers, était si riche, que ses sujets le devinrent trop. Les plus puissants sentirent leur force, et connurent sa faiblesse. Chacun s’établit comme il voulut ; tandis que leur prince, loin de s’en mettre en peine, parut ravi d’être débarrassé d’un pays sans montagnes : il lui en fallait pour se perfectionner dans des connaissances qui lui coûtaient tant. Il quitta donc ses États pour en chercher ; et, tandis que de montagne en montagne il s’entretenait avec les mouvements des cieux, on se mit paisiblement en possession de ce qu’il abandonnait sur la terre.

« Cette nouvelle ne l’émut point : l’amour seul ne fut capable ; et ce ne fut pas le moindre effort de sa puissance que de triompher d’un génie qui s’abîmait dans les méditations abstraites de ce qu’il y a de plus relevé.

« Je ne sais par quel hasard il quitta le sommet de ces montagnes pour descendre en Circassie ; mais ce fut là qu’un penchant plus vif que celui qui l’avait entraîné jusqu’alors lui donna du goût pour les beautés mortelles. Il devint amoureux ; et la plus belle des Circassiennes ne dédaigna pas la main d’un prince dépouillé de ses États.

« Je ne sais si elle ne s’en repentit point ; car, au lieu de songer à son établissement, il se hâta de regrimper sur ses montagnes. Quelque choquée que fût son épouse d’un em-