Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/43

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Il était pour cette famille une sorte de dieu lare. D’après la description minutieuse qu’a donnée de lui un savant Écossais, le lutin était tout petit ; il avait les cheveux bouclés et portait un manteau brun, orné d’un capuchon de même couleur, qui lui descendait jusqu’au genou. Il gardait le même manteau toute sa vie, et comme il vivait plusieurs siècles, ou conçoit qu’a un moment donné, il avait des trous au coude. N’importe, le lutin se drapait dans sa loque avec une fierté digne de Diogène… Le lutin voulait n’être aimé que pour lui-même… Un souper était préparé pour le lutin, c’était là un usage immémorial dans toutes les familles d’Écosse et même d’Angleterre. Le lutin ne voulait pas d’autre salaire pour son service. Il travaillait toute la nuit, nettoyait la maison, balayait l’escalier, lavait la vaisselle, rangeait les meubles. Quand il avait faim, il grignotait son pain ; quand il avait soif, il buvait son lait ; et pourvu que le pain fût bien blanc, et que le lait fût bien pur, il était content ; mais malheur aux ménagères, si ce repas était défectueux !

« Le lutin avait de la rancune, mais au fond il était loin d’être cruel, C’était un petit espiègle qui aimait les grosses farces, voilà tout. Il s’amusait, comme le Puck de Shakespeare, à faire peur aux jeunes filles du village, à égarer la nuit les voyageurs, à faire hennir un cheval en imitant le cri de la jument, à prendre les formes les plus drôles, à se changer en pomme cuite pour tromper la gourmandise du marmot ou en tabouret pour tromper la paresse de la grand maman. Charmante créature en somme, et rachetant tous ses défauts par ses qualités. Il était vindicatif, c’est vrai, mais il était reconnaissant ; il était exigeant* mais il était dévoué, et, s’il ne s’agissait pas d’un esprit, on pourrait dire de lui ce qu’on dit de tous les enfants gâtés : Mauvaise tête, mais bon cœur.

« Autant le lutin était farceur, autant le sylphe était doux ; autant le lutin était folâtre, autant le sylphe était mélancolique. Autant le lutin était effronté, autant le sylphe était timide. Le sylphe, que les Anglais appellent elf fuyait l’humanité, non par haine, comme le gnome, mais par pudeur… Le sylphe était un misanthrope… C’était dans la nature seulement qu’il pouvait vivre. Il affectionnait les bois, les collines, les prairies, le bord des lacs. Amoureux du printemps, il en portait les couleurs et s’habillait tout de vert ; c’était même un sacrilège à ses yeux qu’un homme osât porter la couleur de la végétation.

« Le sylphe ne changeait de forme que pour changer d’élément ; alors il se faisait farfadet pour s’élancer dans le feu et jouer avec sa cousine, la salamandre païenne ; il se faisait ondin pour pénétrer dans l’eau et surprendre sa tante, la naïade antique…

« Le gnome n’aimait qu’un homme ; le lutin aimait une famille ; le sylphe aimait la nature ; la fée aimait l’humanité. D’après le dogme celtique, les créatures tutélaires qui, dans leur passage sur cette terre, avaient dirigé par leurs conseils et gouverné par leurs oracles les assemblées gauloises, ne ces-