Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/42

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sommet du ciel, la Bible nous montre, siégeant dans les ténèbres, à l’autre extrémité, Satan, le dieu du mal, Satan, ange révolté, commande à une foule d’autres anges, révoltés comme lui…

« Ici la tradition sacrée laissait une lacune.

« La tradition populaire remplit cette lacune.

« Entre le bon ange et le mauvais, la Bible ne voyait rien ; la légende découvrit un être. Cet être ce fut la fée. La fée devint l’intermédiaire entre l’ange et le démon. Entre le ciel et l’enfer, la Bible avait fait le vide. La légende combla ce vide en y jetant un monde. Ce monde, ce fut la féerie. La féerie fut le pont jeté entre le ciel et l’enfer. La Bible faisait d’un côté la lumière, et de l’autre les ténèbres. Entre la lumière et les ténèbres la légende créa un crépuscule. Ce crépuscule fut la féerie…

« De même que la race angélique et la race diabolique, la race féerique se classait hiérarchiquement. Plus l’esprit était dégagé de la matière, plus il était élevé. La fée planait dans l’éther ; le sylphe volait dans l’air, le lutin voltigeait sur la terre, le gnome circulait dans la terre. Tous ces êtres s’étageaient par ordre de sentiment sur les degrés de R échelle indéfinie qui monte du mal au bien.

« Le gnome était méchant ; le lutin était malicieux ; le sylphe était doux ; la fée était bonne. Le gnome était presque un démon, la fée presque un ange.

« La diversité des climats de notre globe maintenait entre tous ces êtres la hiérarchie établie par la diversité de leurs natures. Plus un pays était lumineux, plus l’esprit qui y paraissait d’ordinaire était pur. Le gnome, esprit hibou, choisissait de préférence le séjour des régions polaires ; il s’acclimatait en Suède, en Norvège, en Islande, en Laponie, et dans l’Allemagne du Nord, Le lutin, moins ennemi du grand jour, se rapprochait un peu du Midi, et semblait avoir adopté l’Écosse. Le sylphe, plus méridional encore, affectionnait l’Irlande et l’Angleterre centrale. Enfin, la fée, amie des régions plus éclairées, choisissait d’ordinaire, pour lieu de ses apparitions, le sud de la Grande-Bretagne et la France, et envahissait parfois l’ardente patrie du Tasse et de l’Arioste.

« Historiquement, le gnome était Scandinave d’origine ; le lutin était écossais ; le sylphe était anglais ; la fée était celte.

« Célébré par les poèmes de l’Edda et par certaines ballades germaniques sous le nom de kobold, le gnome hantait l’intérieur clés montagnes et se fourrait dans les mines. Très exclusif dans ses affections, il exigeait une amitié absolue du mineur qu’il daignait protéger. Si celui-ci était fidèle, il lui indiquait les plus riches filons, mais il punissait la moindre trahison avec une impitoyable rigueur. Voulant être aimé uniquement, le gnome aimait uniquement. Son favori excepté, il avait pour tout le genre humain la haine perfide de Caliban.

« Le gnome n’aimait qu’un homme ; le lutin n’aimait qu’une famille.