Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/46

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à-dire le Rapide, fils de Prométhée ; puis Elfin, roi de l’Inde ; puis Elfinau, fondateur de Cléopolis, ville des fées ; puis Elfilin, bâtisseur de la muraille d’or ; puis Elfinell, le vainqueur de la bataille des démons ; puis Elfant, qui construisit Panthée, toute en cristal ; puis Elfar, qui tua Bicéphale et Tricéphale ; puis Elfinor le Mage, une espèce de Salmonée, qui fit sur la mer un pont de cuivre, sonnant comme la foudre ; puis sept cents princes ; puis Ëlphiléos le sage, puis Elféron le beau, puis Obéron, puis Mab. Admirable fable qui, avec un sens profond, rattache le sidéral au microscopique, et l’infiniment grand à l’infiniment petit[1]. »

Quand on redescend de ces hauteurs vertigineuses du voyage dans le bleu, en compagnie de Shakespeare et de ses dignes commentateurs, on n’est pas fâché de se reposer de l’éblouissement de cette apocalypse de la superstition populaire, non moins énigmatique que l’autre, en compagnie des fées des contes de Perrault, qui sont de bonnes personnes, quoique leur ton soit celui du meilleur monde, et sente sa grande dame. On prend même un plaisir extrême à l’évocation et à la conversation de ces fées de la légende bretonne contemporaine, divinités dégénérées jusqu’à l’humanité, et tombées à des cieux abaissés aux proportions de l’horizon terrestre, qui partagent les misères de ce monde ; fées d’une féerie inférieure, populaire, rustique, pédestre, par opposition à la féerie aristocratique, mythique, équestre, ailée.

Les fées bretonnes n’ont point besoin d’ailes. Leur sceptre est une quenouille. Le peuple crée non seulement à son image et ressemblance, mais à sa taille, à sa portée, les idoles de ce culte profane, de ce commerce des esprits familiers, chers à l’enfance de l’homme et à l’enfance des peuples, chers aussi à leur vieillesse, et dont ils concilient très bien l’illusion et la superstition avec les révélations de la foi, les scrupules religieux,

Ceux qui voudront connaître en détail l’état présent de la superstition féerique, de la tradition légendaire en Bretagne, n’auront qu’à lire les Contes populaires de la haute Bretagne recueillis par M. Paul Sédillot, ou seulement la Préface, qui les analyse et les résume si curieusement.

« Sur le littoral de la Manche, en Ille-et-Vilaine et dans la partie des Côtes-du-Nord où la langue française est aujourd’hui en usage, on donne le

  1. Victor Hugo, William Shakespeare, p. 374.