Page:Lescure - Le Monde enchanté.djvu/550

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ne me liait pas les mains, je n’aurais pas besoin de lui voir une couronne pour lui donner ma fille ; mais les hommes, et surtout les rois, doivent respecter les usages reçus, et ce serait blesser ces usages que de donner ma fille à un simple gentilhomme, elle qui sort d’une des plus anciennes familles du monde ; car vous savez bien que depuis trois cents ans nous occupons le trône. — Mon prince, lui dit la fée, vous ignorez que la famille de l’Éveillé est tout aussi ancienne que la vôtre, puisque vous êtes parents, et que vous êtes fils de deux frères : encore l’Éveillé doit-il avoir le pas, car il est fils de l’aîné, et votre père n’était que le cadet. — Si vous pouvez me prouver cela, lui dit Violent, je jure de donner ma fille à l’Éveillé, quand même les sujets du feu roi de Mogolan refuseraient de le reconnaître pour souverain. — Rien de plus facile que de vous prouver l’ancienneté de la maison de l’Éveillé, dit la fée : il sort de Gomer, l’aîné des fils de Japhet, fils de Noé, qui s’établit dans le Péloponèse ; et vous sortez du second fils de ce même Japhet. »

Il n’y eut personne qui n’eût beaucoup de peine à s’empêcher de rire, en voyant que la fée se moquait si sérieusement de Violent. Pour lui, la colère commençait à s’emparer de ses sens, lorsque la princesse Blanche, qui était à côté de lui, lui présenta le gobelet de diamant plein d’eau ; il le but en trois fois, comme la fée le lui avait commandé, et pendant cet intervalle, il pensa en lui-même qu’effectivement tous les hommes étaient égaux par leur naissance, puisqu’ils descendaient tous de Noé, et qu’il n’y avait de vraie différence entre eux que celle qu’ils y mettent par leurs vertus.

Avant achevé de vider son verre, il dit à la fée : « En vérité, Madame, je vous ai beaucoup d’obligation ; vous ve-